Ce mardi 16 octobre, les communiqués « se réjouissant de », « se félicitant de » ou « saluant » la nomination de Franck Riester se sont multipliés de la part des organisations professionnelles de l’univers culture et médias. Dans des termes assez proches de ceux qui avaient accueilli Françoise Nyssen il y a moins de 18 mois. Mais au-delà d’une forme de rite républicain que ces messages semblent reproduire, son arrivée rue de Valois contribue à préciser les orientations de la prochaine réforme de l’audiovisuel : comparer les sujets et projets qu’il a défendus en tant que parlementaire, les publications récentes (rapport Bergé, propositions du CSA), et les expressions publiques tenues lors du 28e Colloque NPA / Le Figaro par la députée Aurore Bergé, le sénateur Jean-Pierre Leleux, le Président de l’Hadopi Denis Rapone, ou encore celui du CSA Olivier Schrameck (pour accéder au replay vidéo de la journée c’est ici) fait bien ressortir les lignes de force qui devraient figurer dans le projet de loi.
Il ne sera pas nécessaire dans tous les cas de convaincre le nouveau ministre des bouleversements que le numérique représente pour la communication : en février 2009, il a été le premier maire de France à organiser le passage au « tout numérique » (i.e 100% TNT, à l’époque) à Coulommiers !
Il ne sera pas davantage nécessaire de le persuader de la nécessité de la lutte contre le piratage : comme député, il a été le rapporteur des projets de loi Hadopi 1 et Hadopi 2, à une période où le combat contre les sites illicites était sensiblement moins consensuel qu’aujourd’hui et pouvait valoir de sérieuses campagnes de dénigrement dans les médias et sur les réseaux sociaux. Le président de l’Hadopi Denis Rapone devrait donc bénéficier d’une oreille attentive sur ses propositions visant à « faciliter l’implication de ceux que l’on appelle les « intermédiaires » : les services de paiement en ligne, les acteurs de la publicité, les hébergeurs techniques, les bureaux d’enregistrement de noms de domaine » et pour celles « directement dirigées contre les sites contrefaisants et leurs répliques pour en bloquer ou en fermer l’accès », ainsi qu’il l’exposait le 11 octobre lors du Colloque NPA. Franck Riester pourra aussi, sur le sujet, s’appuyer sur les recommandations du rapport Bergé (11 propositions visant à « lutter plus efficacement contre le piratage pour redonner de la valeur à la chaîne de la création audiovisuelle ») autant qu’il pourra compter sur le soutien du Sénat : la chambre haute est « d’accord avec les mesures proposées sur le pouvoir pénal de Hadopi », indiquait Jean-Pierre Leleux le 11 octobre.
Même consensus sur la volonté de simplifier les règles qui encadrent les groupes audiovisuels privés et, dans le même mouvement, de faire prévaloir « les accords professionnels ou de gré à gré » ou plus généralement « le droit souple » (CSA) afin de répondre plus efficacement à l’accélération constante qui caractérise le monde numérique.
L’accord est moins unanime sur l’étendue des marges de manœuvre à donner aux acteurs : s’agissant par exemple de la radio, Aurore Bergé recommande de « supprimer, sauf évaluation contraire, les dispositions introduites par la loi du 7 juillet 2016 en matière de limitation des hautes rotations », quand le CSA penche plutôt pour « des mesures nationales complémentaires (à la Directive SMA) prenant en compte les podcasts et le streaming audio pour favoriser la diversité musicale ». Si l’on se réfère à l’amendement qu’il avait cosigné en 2016, le nouveau ministre devrait a minima rejoindre la députée sur le premier aspect.
Une clarification est également à prévoir concernant l’évolution des modalités de contributions des éditeurs à la production. Assemblée Nationale et CSA se rejoignent sur l’extension de la possibilité pour les groupes audiovisuels de mutualiser leurs obligations d’investissement dans le cinéma, tel qu’il se pratique déjà pour l’audiovisuel. Mais les chemins diffèrent à ce stade sur le partage des droits : le CSA préconise de « redéfinir les obligations liées à la production en accompagnant les négociations entre les producteurs et les diffuseurs quant à la maîtrise des droits d’exploitation des œuvres cinématographiques et audiovisuelles et dans cette perspective, en revoyant les critères et le niveau de la part dite « indépendante » » ; Aurore Bergé suggère de « maintenir, dans la loi, le principe d’un taux de recours à la production indépendante, en limitant sa définition à l’absence de lien capitalistique et en laissant plus de place aux accords professionnels ou de gré à gré pour la définition des droits et des mandats » ; Franck Riester, quand il était parlementaire, a surtout soutenu la réduction de la part de la production indépendante dans le financement apporté par les éditeurs (à 60% pour le cinéma, par exemple, au lieu de 75% aujourd’hui).
S’agissant du financement du service public, Franck Riester pourra s’appuyer sur un large éventail de propositions, au-delà du soutien unanime à l’universalisation de la CAP (ex redevance) : du rétablissement – temporaire ? – de la publicité sur France Télévisions, préconisé à titre personnel par le président de la Mission d’information sur une nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l’ère numérique Pierre-Yves Bournazel (député UDI de Paris), à la suppression totale de la publicité sur les ondes du service public (Jean-Pierre Leleux), en passant par sa prohibition des antennes de Radio France et de France 5 (Aurore Bergé). Le nouveau ministre semble plutôt pencher du côté de ces derniers : « il faut circonscrire la publicité à quelques niches comme les événements sportifs, déclarait-il dans Le Monde en décembre 2017. A service public, financement public, à secteur privé, financement privé. In fine, le financement de l’audiovisuel public devra se concentrer sur une redevance universelle et sur la diversification des ressources hors publicité. »
Les recommandations sont plus rares concernant la gouvernance de l’audiovisuel public. Au moins Franck Riester pourra-t-il se reporter à l’amendement qu’il avait cosigné en 2013, qui proposait de « confier le pouvoir de nomination des dirigeants du secteur public de la communication audiovisuelle à une institution dans laquelle seraient représentés les territoires et la société civile, le Haut Conseil de l’audiovisuel public ». L’an dernier, il se prononçait par ailleurs pour la création d’une « BBC à la française (regroupant les) entités de l’audiovisuel public au sein d’un média global (en vue de) recentrer les moyens sur les contenus grâce aux synergies mises en œuvre au niveau des fonctions supports ».
En plus de ses convictions propres, Franck Riester disposera sur l’ensemble de ces sujets de positions argumentées pouvant contribuer à ses propres arbitrages.
Et les GAFA(N) ? Le nouveau ministre s’est très peu exprimé jusqu’alors sur les possibilités de les intégrer à l’écosystème national, et sur la manière d’y parvenir (contrainte, incitation…).
Le cap qu’il suivra sur le sujet constitue donc l’une des incertitudes majeures de la prochaine réforme.
Le calendrier dans lequel celle-ci sera conduite représente l’autre question clé. Intervenant lors de la présentation du rapport Bergé, sa prédécesseure Françoise Nyssen avait évoqué un dépôt du projet de loi en conseil des Ministres en mars 2019, imposant que le texte en soit bouclé fin 2018.
Il reviendra à Franck Riester de dire s’il endosse cet agenda.