Carte blanche à Eric WOERTH – Ancien ministre, Président de la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale
Eric Woerth a commencé par rappeler que la question de la fiscalisation, et plus spécifiquement celle des grandes entreprises du numérique, est un phénomène majeur car l’économie d’aujourd’hui échappe à certaines règles nouvelles de fiscalité comme la publicité en ligne ou l’intermédiation de services. Selon lui, « notre système fiscal ne correspond plus bien à la situation d’aujourd’hui » et « il est intuitif de penser aujourd’hui que les acteurs de l’économie numérique payent moins d’impôts que les autres en fonction de la valeur ajoutée générée ». En effet, selon la Commission européenne le taux moyen d’imposition des GAFA est de 9 % en moyenne en Europe, contre 23 % pour la moyenne des sociétés. Il a déploré le fait qu’il y a des détournements de profits qui reposent sur des évasions et optimisations fiscales tout en indiquant qu’il existe une « zone grise » entre ces deux pratiques. La fiscalisation des grands acteurs du numérique lui semble ainsi nécessaire dans la mesure où ces acteurs sont des entreprises très puissantes, qui ont une puissance parfois plus forte que des Etats eux-mêmes, et une puissance tant financière que juridique ou d’influence.
A cet égard, Eric Woerth estime qu’il y a de vraies questions d’éthique qui se posent et que les créateurs de ces acteurs du numérique ont été dépassés par le succès de leur entreprise, à un point tel que leur capacité d’éthique n’est plus à la hauteur de leur puissance. En découlent alors des questions claires de souveraineté qui poussent chefs d’Etat et fondateurs d’entreprises du numérique à discuter et faire évoluer leurs discussions.
L’ancien ministre a expliqué que les systèmes d’imposition s’appliquent traditionnellement surtout aux bénéfices. Mais que faire avec des start-up qui réalisent des niveaux de chiffre d’affaires importants, tout en restant en perte comptable ? Aujourd’hui, pour les grandes entreprises du numérique il n’est plus possible de déterminer là où elles doivent être taxées à cause de « l’immatériel ». Par ailleurs, il a précisé que cette question ne touche pas uniquement les GAFA mais aussi les commerces de proximité et donc tous les échanges, la désertification des centres villes au profit du commerce en ligne où l’inégalité fiscale est très forte notamment avec le foncier.
Eric Woerth est également revenu sur la proposition française de taxe numérique provisoire qu’il estime assez brutale, rustique, pas idéale, tardive mais pas moins nécessaire. Nécessaire notamment car les discussions sur ce sujet prennent beaucoup de temps : à l’échelle européenne car les règles de l’unanimité pour les questions fiscales sont sources de blocages, et à l’échelle internationale via l’OCDE car « c’est de l’international, cela prend du temps par définition ». Ainsi, il se félicite que « la France montre le chemin » et qu’elle soit un peu « l’éclaireur » pour que « les entreprises du numérique aient une fiscalité qui ne soit plus une fiscalité négociée », du moins jusqu’à trouver une solution globale à l’échelle de l’OCDE afin de « faire évoluer de façon majeure le système fiscal mondial et de mieux répartir les bénéfices ». A cet égard, il a indiqué que l’OCDE souhaite une nouvelle répartition des bases de l’impôt sur les sociétés et que les règles traditionnelles soient abandonnées au profit de la règle du pays de consommation car « c’est la consommation qui fait la valeur ajoutée ». Il reconnaît toutefois les éléments de blocage dans ces discussions internationales. Notamment, car il y existe un risque majeur selon lui pour nos finances publiques et qu’il n’y a pas de chiffres concrets car ni l’administration fiscale française ni l’OCDE n’ont mesuré le risque que ça ferait prendre à nos pays. En outre, les Etats-Unis et la Chine n’ont pas la même vision de globalisation du monde et il y a un désalignement entre ces pays notamment sur la question du pays de consommation. Il considère que l’Union européenne est donc « à la croisée des chemins », et que c’est maintenant qu’il faut donc faire preuve de vigilance pour ne pas subir et avoir une ligne de route dynamique pour peser au sein de l’OCDE. « J’appelle les autorités françaises et européennes à regarder tout cela de près et à ne pas laisser les choses s’enclencher sans être sûr, parce que la fiscalité est une question de souveraineté » a-t-il conclu.