Le Sénat a adopté le 8 juillet dernier le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière (« PJL DADDUE »), en y insérant – notamment – plusieurs autorisations de légiférer par ordonnance pour transposer en droit français la directive droits d’auteur, la directive « Cab/Sat 2 » et la directive SMA. Celles-ci sont prévues aux articles 24 bis et 24 ter du texte adopté par le Sénat. Aurore Bergé (LREM, Yvelines) présentera le 9 septembre, devant la commission des Affaires culturelles, son rapport sur cette demande d’habilitation.
L’examen en séance du
projet de loi DADDUE ne figure pas à l’ordre du jour de la session extraordinaire de l’Assemblée Nationale, convoquée à partir du 15 septembre. Le texte devrait être inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale à partir du 1er octobre, date de reprise de la session parlementaire ordinaire.
Dans l’intervalle auront été examinés les rapports de la commission des Affaires économiques, saisie au fond, et ceux pour avis, de la commission des Affaires culturelles et de la commission des Finances, sur certains aspects du texte.
Dans ce cadre, Aurore Bergé (LREM, Yvelines), qui avait été la rapporteure générale du projet de réforme Riester, a été nommée rapporteure pour avis sur les articles 24 bis et 24 ter, qui prévoient l’habilitation du gouvernement à légiférer par ordonnance sur la transposition de la Directive SMA, et sur celle des termes de la Directive Droits d’auteur qui ne l’ont pas encore été. Elle présentera son rapport le 9 septembre devant la commission des Affaires culturelles.
Celui de Michel Lauzzana (LREM, Lot-et-Garonne) au titre de la commission des Finances (et sur d’autres aspects du texte), sera examiné le 16 septembre.
A cette date, en revanche, l’agenda de la commission des Affaires économiques ne précise pas la date à laquelle Valéria Faure-Muntian (LREM, Loire) rapportera au fond.
NPA Conseil propose de revenir sur les dispositions principales du texte, et sur les modifications que le Sénat lui a apporté en première lecture, au début de l’été.
La transposition par ordonnance des directives droit d’auteur et SMA
Par amendement du gouvernement, le Sénat a ajouté au texte initial deux articles, 24 bis et 24 ter, qui autorisent le Gouvernement à légiférer par ordonnance au titre de l’article 38 de la Constitution, pour transposer :
- la directive 2019/790, relative au droit d’auteur dans le marché unique numérique ;
- la directive 2019/789, relative à certaines transmissions en ligne d’organismes de radiodiffusion et retransmissions de programmes de télévision et de radio (directive « Cab/Sat 2 ») ;
- la directive 2018/1808 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (directive « Services de médias audiovisuels » ou « SMA »).
Pour mémoire, il est prévu que les ordonnance prises par habilitation législative soient examinées par le Parlement, et fassent l’objet d’un vote avant leur publication. Dans une décision du 28 mai 2020, le Conseil Constitutionnel a toutefois relativisé la portée de cette dernière obligation.
S’agissant de la directive « droit d’auteur », le Gouvernement devra notamment transposer :
- l’article 17, qui impose aux plateformes de partage de contenus, comme YouTube, de trouver des accords avec les ayants droit pour la diffusion de contenus protégés sur leurs plateformes, ou, en l’absence d’accord, de retirer systématiquement ces contenus ;
- l’article 18, qui impose un principe de rémunération proportionnelle des artistes-interprètes ;
- les articles 19 à 23, qui prévoient des obligations de transparence des titulaires de droits à l’égard des auteurs et artistes-interprètes qui leur ont cédé leurs droits, ainsi que des mécanismes de réajustement / rupture du contrat de cession de droits en cas d’abus ou de défaut d’exploitation ;
- l’article 12, qui autorise les sociétés de gestion collective à étendre des accords sectoriels à toute une branche d’auteurs ;
- les articles 3 à 6, qui prévoient des exceptions au droit d’auteur pour le text and data mining (“fouille de texte ou de données”), l’enseignement numérique et la conservation du patrimoine culturel.
Pour les articles 3 à 6 et 17 à 23, le délai accordé au Gouvernement est de 6 mois. Pour les autres, le délai est de 12 mois.
Pour la directive « Cab/Sat 2 », il s’agit principalement de transposer :
- l’article 3, qui prévoit que les services numériques de simulcasting et de replay des diffuseurs européens doivent être accessibles librement depuis tout autre pays de l’Union, mais uniquement pour les programmes :
- de radio,
- d’actualité ou d’information,
- produits et financés intégralement par le diffuseur.
- les articles 4 à 6, qui autorisent les sociétés de gestion collective compétentes à gérer et autoriser les retransmissions de programmes même pour les diffuseurs qui ne leur sont pas affiliés;
- l’article 8, relatif à l’injection directe, qui prévoit que le distributeur d’un programme doit également obtenir l’autorisation des titulaires de droit.
Concernant enfin la directive SMA, le délai accordé au Gouvernement pour la transposition est de 6 mois. Pour rappel, les principales dispositions de cette directive sont les suivantes :
- les Etats membres peuvent soumettre à des obligations de financement de la création les services de médias audiovisuels établis à l’étranger mais qui ciblent leur territoire ;
- le placement de produits est autorisé par défaut, sauf pour le tabac et les médicaments, et à l’exception des programmes d’actualité, d’information, des émissions de consommateurs, des programmes religieux et des programmes pour enfants;
- les diffuseurs sont soumis à des obligations de protection des publics, notamment mineurs, contre les contenus préjudiciables, et à des obligations d’accessibilité,
- les plateformes de partage de vidéos sont soumises à des obligations de veiller à ce que les publicités diffusées sur leurs services ne soient pas dommageables ou trompeuses;
- la durée de publicité en linéaire est limitée à 20 % du temps de diffusion sur les tranches 6h – 18h et 18h – minuit (placement de produit et parrainage non compris).
Pour transposer la disposition autorisant les Etats à soumettre les services étrangers à des obligations de financement de la création, l’article 24 ter du projet de loi précise que le Gouvernement devra veiller à assurer un traitement équitable entre les services de télévision et les services de médias audiovisuels à la demande (sous amendement d’André Gattolin ; LREM, Hauts-de-Seine). Pour ce faire, 6 instructions spécifiques sont données au Gouvernement :
- Autoriser les groupes éditant plusieurs services à mutualiser leur contribution à la production cinématographique ;
- Associer les organisations professionnelles et organismes de gestion collective représentant les auteurs aux accords conclus entre les éditeurs de services et les organisations représentant les producteurs, dont il est tenu compte pour déterminer les modalités de financement de la production ; sur ce point, le Sénat a repris le cantonnement qui figurait dans le projet de loi Riester – « pour la partie de ces accords qui affecte directement leurs intérêts » – par un sous-amendement de Catherine Morin-Desailly (Présidente de la commission Culture, UC, Seine Maritime), Jean-Pierre Leleux (LR, Alpes Maritimes), David Assouline (PS, Paris), Françoise Laborde (RDSE, Haute-Garonne) et André Gattolin).
- Prévoir que seules les œuvres produites dans le respect du droit d’auteur i) sont prises en compte au titre de l’obligation de financement de la création et ii) sont éligibles aux aides du CNC ;
- Imposer une obligation de conventionnement des services de médias audiovisuels à la demande par le CSA, en intégrant dans cette convention les modalités d’accès des ayants droits aux données d’exploitation de leurs œuvres ;
- Permettre au CSA de recevoir de l’administration fiscale tous les renseignements relatifs au chiffre d’affaires des éditeurs, et de les échanger avec le CNC.
Les autres dispositions du projet de loi
Dans le projet de loi initial, tel que déposé au Sénat par le Gouvernement, le texte prévoyait déjà plusieurs habilitations de légiférer par ordonnance.
Le texte initial prévoyait ainsi des autorisations législatives pour transposer, notamment,
- la directive 2019/770 sur les contrats de fourniture de contenus numériques (article 1er),
- la directive 2019/771 sur les contrats de vente de biens en ligne (article 1er),
- la directive 2019/2161 sur la modernisation de la protection des consommateurs (article 2).
Son article 7 intégrait également au droit français le règlement 2019/1150, promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne (Règlement « Platform to Business » ou « P2B »). Ce règlement européen impose de nouvelles règles de transparence et de résolution des conflits pour les places de marché en ligne, comme Amazon, qui référencent à la fois leurs propres offres et des offres de professionnels tiers.
Enfin, l’article 5 du projet de loi conférait à la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) le pouvoir, lorsqu’elle constate sur internet une infraction au Code de la consommation, de faire afficher un message avertissant les consommateurs du risque encouru sur l’interface concernée, ou d’ordonner des mesures de restriction d’accès à cette interface.
Les modifications adoptées au Sénat
Les sénateurs ont modifié l’article 5 du projet de loi, relatif aux pouvoirs de la DGCCRF. Ils ont limité le pouvoir de blocage de l’accès à un site par la DGCCRF aux cas d’infractions particulièrement graves (qui exposent leur auteur à une peine d’au moins deux ans d’emprisonnement). Dans ces cas en revanche, elle voit ses pouvoirs étendus : elle peut désormais faire déréférencer ou bloquer un site, une interface ou un nom de domaine entier.
Le Sénat a par ailleurs ajouté au projet de loi un article 4 bis, qui introduit dans le texte des éléments issus de la proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace, adoptée en 1ère lecture au Sénat le 19 février 2020.
Ce nouvel article introduit ainsi i) une obligation pour les plateformes en ligne de garantir la liberté de choix des consommateurs, ii) une obligation pour les plateformes de rendre leurs services interopérables, iii) un pouvoir renforcé de l’Autorité de la concurrence sur les « entreprises structurantes et iv) une interdiction pour les plateformes en ligne de concevoir des interfaces utilisateur qui ont pour objet ou effet d’entraver la liberté de décision du consommateur ou d’obtenir son consentement.
S’agissant de la liberté de choix des consommateurs, le texte interdit aux fournisseurs de systèmes d’exploitation, comme Android (Google), IOS (Apple) ou Windows (Microsoft), de limiter de façon injustifiée l’exercice, par les utilisateurs non professionnels, du droit, sur internet, d’accéder aux informations et aux contenus de leur choix et de les diffuser, ainsi que d’utiliser et de fournir des applications et des services. Il revient à l’Arcep de rédiger des lignes directrices et recommandations à cet égard, après consultation des parties prenantes. L’Arcep dispose d’un pouvoir de contrôle, d’accès aux informations chez les professionnels concernés, de publication de ces informations, de règlement des différends et de sanction en cas de manquement. La sanction peut aller jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires.
Concernant l’obligation d’interopérabilité, le texte la définit comme « la capacité que possède un produit ou un système, dont les interfaces sont intégralement connues, à fonctionner avec d’autres produits ou systèmes existants ou futurs et ce, sans restriction d’accès ou de mise en œuvre ». Après consultation de la CNIL, l’Arcep peut imposer des mesures visant à rendre les services interopérables (publication/transmission d’informations ou mise en œuvre de standards d’interopérabilité). L’Arcep dispose ici aussi d’un pouvoir de sanction, qui l’autorise à prononcer des amendes pouvant aller jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires.
Enfin, le contrôle renforcé de l’Autorité de la concurrence devra porter sur une liste d’entreprises « structurantes », établie par l’Autorité, qui devra prendre en compte : la position dominante de l’entreprise sur un ou plusieurs marchés, notamment multifaces, le nombre d’utilisateurs uniques des produits ou services qu’elle propose, son intégration verticale et ses activités sur d’autres marchés connexes, le bénéfice qu’elle retire de l’exploitation d’importants effets de réseaux, sa valorisation financière, son accès à des données essentielles pour l’accès à un marché ou le développement d’une activité, l’importance de ses activités pour l’accès de tiers aux marchés et l’influence qu’elle exerce en conséquence sur les activités des tiers. Chacune de ces entreprises devra i) soumettre à l’examen de l’Autorité de la concurrence chaque opération de concentration (achat d’une entreprise tierce) envisagée, ii) fournir la preuve que la concentration ne va pas nuire à la concurrence et iii) laisser l’Autorité de la concurrence avoir accès, le cas échéant, aux « principes et méthodes de conception des algorithmes ainsi qu’aux données utilisées par ces algorithmes ».