La future loi sur les services numériques de l’UE peut fixer les normes mondiales en matière de transparence, de contrôle et d’application, a déclaré la lanceuse d’alerte Frances Haugen.
La législation sur les services numériques a le potentiel d’être un “étalon-or mondial” et d’inspirer d’autres pays à “établir de nouvelles règles qui protégeraient nos démocraties”, a souligné Mme Haugen lors de l’audition de lundi. Elle a toutefois prévenu que les règles devaient être solides en matière de transparence, de contrôle et d’application, sans quoi “nous perdrons cette occasion unique d’aligner l’avenir de la technologie et de la démocratie”.
Protéger les droits des utilisateurs et renforcer la responsabilité
Les révélations de Mme Haugen sur les pratiques de Facebook et leur impact sur les utilisateurs et leurs droits fondamentaux ont troublé les députés. Ils ont exprimé leurs préoccupations, entre autres, sur l’exploitation de la santé mentale des enfants et des adolescents et sur le micro-ciblage, y compris à des fins politiques. Les questions ont porté sur la manière de rendre les plateformes plus responsables et de s’assurer que les dispositions relatives à l’évaluation et à l’atténuation des risques dans la proposition de loi sur les services numériques soient suffisamment fortes pour éviter les abus, la polarisation et les risques pour la démocratie.
Les députés ont également demandé à Mme Haugen son avis sur la réglementation des contenus non seulement illégaux mais aussi préjudiciables, sur les outils de modération des contenus et sur l’interdiction de la publicité ciblée. Ils ont également voulu savoir quelles garanties elle souhaiterait voir incluses dans la législation européenne sur le numérique, se demandant si le paquet actuellement sur la table était suffisant. Les outils d’application pour s’assurer que la loi ait du poids, la transparence des algorithmes, l’accès des chercheurs universitaires, des ONG et des journalistes d’investigation aux données des plateformes, sont parmi les autres sujets qui ont été abordés lors de l’audition.
Divulguer les données et rendre les algorithmes plus sûrs
Dans ses réponses, Mme Haugen a souligné l’importance de veiller à ce que des entreprises comme Facebook divulguent publiquement les données et la manière dont elles les collectent (sur les contenus de classement, la publicité, les paramètres de notation, par exemple) pour permettre aux gens de prendre des décisions transparentes et interdire les “interfaces truquées” en ligne. Les individus au sein de ces entreprises devraient être tenus personnellement responsables des décisions qu’ils prennent, a-t-elle ajouté.
En ce qui concerne la lutte contre la désinformation et le déclassement des contenus préjudiciables, Mme Haugen a souligné que Facebook était nettement moins transparent que d’autres plateformes et que l’entreprise pourrait faire beaucoup plus pour rendre les algorithmes plus sûrs en fixant des limites au nombre de fois qu’un contenu peut être partagé à nouveau, en augmentant les services pour prendre en charge davantage de langues, en évaluant les risques de manière transparente, en rendant les plateformes plus humaines et en trouvant des moyens pour que les utilisateurs se modèrent mutuellement plutôt que d’être modérés par une intelligence artificielle. Elle a félicité les législateurs pour leur approche neutre en termes de contenu, mais a mis en garde contre d’éventuelles failles et exemptions pour les organisations de médias et les secrets commerciaux.
Au cours de sa présentation, Mme Haugen a également mentionné à quel point il était crucial que les gouvernements protègent les lanceurs d’alerte dans le domaine de la technologie, car leurs témoignages seront essentiels pour protéger les personnes des dommages causés par les technologies numériques à l’avenir.
L’enregistrement vidéo de l’audition est disponible ici.
L’audition a été organisée par la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs du Parlement, en association avec d’autres commissions: les commissions de l’industrie, des affaires juridiques et des libertés civiles, et les commissions spéciales sur la désinformation et l’intelligence artificielle.
Des travaux sur la régulation des plateformes sont en cours au Parlement
La commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs discute actuellement de la manière dont la proposition relative à la loi sur les services numériques, présentée par la Commission européenne en décembre 2020, devrait être modifiée et améliorée. La présentation de Mme Haugen alimentera les travaux de la commission sur la loi, avant le vote (date à déterminer prochainement). Cette législation est l’occasion pour l’Europe de façonner l’économie numérique au niveau de l’UE ainsi que de devenir une référence mondiale en matière de réglementation numérique.
Contexte
Mme Frances Haugen est une ancienne employée de Facebook, spécialisée en ingénierie informatique et, plus précisément, en gestion de produits algorithmiques. Chez Facebook, Mme Haugen a travaillé comme cheffe de produit dans l’équipe chargée de la désinformation civique. Cette équipe s’intéressait aux interférences électorales dans le monde entier et travaillait sur des questions liées à la démocratie et à la désinformation. Facebook a mis un terme à cette équipe après l’élection américaine de 2020 et Mme Haugen a contacté le Wall Street Journal peu après. Mme Haugen a divulgué des milliers de documents internes qu’elle a recueillis lorsqu’elle travaillait pour Facebook. Parmi les faits les plus frappants étayés par les documents divulgués figure la manière dont l’utilisation d’Instagram nuit gravement à la santé mentale des adolescents, notamment lorsqu’il s’agit de favoriser les troubles de l’alimentation et de l’image corporelle. De manière générale, les documents divulgués montrent comment les affirmations publiques de Facebook sur une variété de sujets – y compris, au-delà de la santé mentale, le travail de Facebook sur les discours haineux et la liberté d’expression – contredisent souvent les recherches internes. Dans l’ensemble, Mme Haugen affirme que Facebook (qui possède d’autres sociétés de médias sociaux largement utilisés, comme Instagram) ne rend pas intentionnellement ces plateformes plus sûres pour les utilisateurs, car cela aurait un impact sur ses bénéfices.
Le communiqué est à retrouver ici.