C’est un grand classique des séries TV : le cliffhanger qui, à la fin de chaque saison, projette le spectateur vers ce que pourrait être la suivante. Parce que l’accord a été signé pour trois ans, on pouvait penser devoir attendre 2025 avant de retrouver les protagonistes du feuilleton chronologie des médias. Trois raisons, au moins, permettent d’imaginer un rebondissement plus rapide.
La première dépend de la capacité de la SACD à persuader les acteurs de la filière d’accélérer d’anticiper leur retour sur scène. « Les mutations rapides du secteur en termes d’offre, de technologie et de demande conduiront inéluctablement à une évolution rapide de la place du cinéma dans l’ensemble des offres disponibles sur le marché français, plaide la SACD pour justifier son absence parmi les signataires de l’accord du 24 janvier. La conclusion de cet accord pour une durée de 3 ans apparait donc à la fois incompréhensible et déraisonnable. Et l’ajout ultime d’une clause de revoyure en cours de période ne change rien au fond : elle est sans effet sur la durée de l’accord, soit jusqu’en février 2025 ». Cette hypothèse d’une (re)mobilisation volontaire de la filière n’apparait pas le plus probable.
Sans remettre en cause le cap 2025, la deuxième piste pourrait voir la distribution s’élargir à de nouveaux participants. Elle a été ouverte par la ministre de la Culture elle-même, dans le discours qu’elle a prononcé lors de la cérémonie de signature, suggérant une évolution du scénario vers la comédie romantique : la ministre a souligné que le casting restait ouvert, et que d’autres plateformes – Amazon et Disney+ notamment – pourraient se joindre à l’accord sans attendre son terme.
La troisième voie est moins rose, et pourraient mettre en scène avocats et magistrats des juridictions administratives nationales et/ou communautaires. Dans quelques jours paraîtra l’arrêté ministériel d’extension de l’accord du 24 janvier. Fin février, vraisemblablement, si les délais sont les mêmes qu’en 2018/2019 (accord signé le 6 septembre et amendé le 21 décembre, pour une parution de l’arrêté le 25 janvier 2019). « Les stipulations de l’accord pour le réaménagement de la chronologie des médias (…) sont rendues obligatoires à dater de la publication du présent arrêté pour une durée de trois ans », indiquait le texte de 2019, dans une formulation dont ne devrait guère s’éloigner celle de 2022. A condition d’être considérée comme une partie intéressée, l’un des acteurs de la filière pourrait contester devant le tribunal administratif les termes de l’arrêté. Il disposerait, selon le délai usuel en la matière de deux mois.
C’est sur la représentativité de Netflix – donc sa capacité à engager l’ensemble des acteurs de la SVoD – que pourraient notamment porter les contestations. A la mi 2021 (les données correspondant à la fin du quatrième trimestre sont en cours de traitement), le Baromètre OTT NPA Conseil / Harris Interactive confirmait que le nombre d’utilisateurs de Netflix dépassait, de très loin, celui de ses concurrents. Mais l’écart se réduit très sensiblement si l’on tient compte du partage de codes, et que l’on raisonne sur les seuls abonnés :
En tout état de cause, une éventuelle procédure ne suspendrait pas l’application du texte.
L’alternative pourrait voir l’action se déplacer à Bruxelles, avec un sujet de droit communautaire au centre de l’intrigue. En rupture avec l’application systématique de la règle du pays d’origine, qui prévaut depuis la première Directive TV sans frontière (le droit applicable à une chaîne ou à un service est celui de l’Etat-membre dans lequel il est administrativement installé), la Directive SMA a retenu le principe du pays de destination pour autoriser les autorités du pays vers lequel les services sont commercialement tournés à leur fixer des obligations de contribution à la production. Mais elle n’a pas, pour autant, effectué un renversement complet de sa doctrine. S’agissant par exemple du « quota de 30% » (les services de SVoD doivent intégrer au moins 30% d’œuvres européennes à leur catalogue), c’est bien à l’Etat dans lequel le service est domicilié d’assurer son respect, pour le compte de l’ensemble des pays dans lesquels il est distribué.
Qu’en est-il de la chronologie des médias ? Application de la règle dominante du pays d’origine, qui verrait les services étrangers commercialisés en France (Amazon, Disney+, Netflix…) dépendre du dispositif prévu dans le pays où lequel ils sont installés, ou simple prolongement de la dérogation prévue en matière de contribution à la production et capacité à leur appliquer l’accord du 24 janvier ?
C’est ce point que certains non-signataires – Apple, Amazon, Disney… – pourrait demander à trancher.
Dans cet Insight NPA, la signature de l’accord nous a donné l’occasion d’un tour d’horizon de la place du cinéma (et de sa vitalité), dans les principaux maillons de la chaîne de valeur (après la salle) : Vidéo physique, VoD, Canal+, chaînes gratuites et SVoD.
Nous vous en souhaitons une bonne lecture