L'édito de Philippe Bailly

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SAA : Les entreprises américaines dominent le marché de l’UE, moins de droits pour les auteurs?

Pendant les confinements et les quarantaines liés à la pandémie, beaucoup d’entre nous ont exprimé leur gratitude pour la technologie du 21e siècle qui nous a permis de regarder des films et des séries sur nos écrans, échappant ainsi à la crise sanitaire inquiétante qui nous entoure. Cependant, peu ont prêté attention aux conséquences de la domination des services de streaming et à la demande par les intérêts américains: alors que le public obtient plus de contenu, les auteurs européens sont dépouillés de leur droit aux redevances.

Pourquoi? Parce que le modèle américain du droit d’auteur est différent de la tradition européenne du droit d’auteur. Là-bas, les scénaristes et les réalisateurs sont considérés comme des travailleurs : ils signent des contrats de travail contre rémunération et n’ont aucun droit de propriété intellectuelle sur leur travail (qui sont entre les mains des producteurs). Ici, ils sont reconnus en tant qu’auteurs et jouissent de tous les droits reconnus par la législation de l’UE sur le droit d’auteur, y compris le nouveau principe de rémunération appropriée et proportionnée (article 18 de la directive DSM). Les pays de l’UE peuvent utiliser différents mécanismes pour mettre en œuvre ce principe, y compris la négociation collective et la gestion des droits collectifs. Ainsi, même si les scénaristes et les réalisateurs en Europe transfèrent leurs droits exclusifs au producteur, ils devraient toujours en principe avoir droit à une rémunération pour l’exploitation de leurs œuvres. « Devrait » parce que, si certains pays soutiennent les cinéastes de manière exemplaire, d’autres acceptent malheureusement qu’on leur impose un « contrat de rachat » pour un paiement forfaitaire sans mécanisme de gestion collective des droits prévoyant des redevances sur l’exploitation de leurs œuvres.

Le poids de l’intérêt américain dans le top 100 des revenus a augmenté de +4% jusqu’à +31% en 2020, en raison de la montée en puissance des lecteurs de vidéo à la demande par abonnement (SVOD). Les acteurs de l’audiovisuel soutenus par les États-Unis en Europe représentaient 44 % des revenus des principaux acteurs privés à la fin de 2020. Une autre tendance est que les acteurs américains commencent à produire plus localement plutôt que des investissements indirects, rapporte l’Observatoire européen de l’audiovisuel[1]..

La domination américaine sur le marché de la VOD soulève des inquiétudes quant à l’importance de protéger la tradition de nos droits d’auteur et de défendre les droits d’auteur audiovisuels européens sur leur propre création. Bien que des plateformes comme Netflix puissent sembler avoir beaucoup d’œuvres européennes dans leurs catalogues, cela ne signifie pas que la production est européenne (Emily in Paris est un exemple américain) ni que les auteurs sont payés proportionnellement à l’exploitation. En fait, les seuls qui reçoivent des redevances sont les auteurs dans les pays où un organisme de gestion collective a un accord avec la plate-forme, ce qui est le cas de l’Espagne, de l’Italie, de la France et de la Belgique. Dans d’autres pays, conformément au modèle américain, les auteurs se voient proposer des « accords de rachat » où la rémunération d’un réalisateur et d’un scénariste est un paiement forfaitaire, sans redevances possibles basées sur le succès. Si le film ou la série devient un grand succès, l’auteur n’obtient rien.

Les entreprises américaines qui dominent le marché de l’UE se demandent si les auteurs européens reçoivent des redevances, mais c’est aussi une question de diversité et de visibilité des œuvres européennes. Il va sans dire que les cinéastes veulent toucher un public aussi large que possible. De nombreux auteurs s’inquiètent donc de la domination des plateformes et des œuvres américaines sur le marché européen et du manque d’espace pour leurs œuvres qui ne sont souvent pas accessibles dans leur pays d’origine et/ou dans d’autres pays de l’UE. En ce qui concerne la mise à disposition de films et de séries européens sur les médias en ligne, les acteurs du marché et les autorités publiques peuvent faire davantage. Les plateformes européennes doivent se développer, et les œuvres européennes doivent être mises à disposition, quelles que soient les plateformes. Les plateformes opérant en Europe sont soumises au droit de l’UE, notamment la directive sur le droit d’auteur (principe de rémunération équitable) et la directive sur les services de médias audiovisuels (quota d’œuvres européennes). Les scénaristes et les réalisateurs devraient être rassurés sur le fait que lorsque leurs œuvres sont présentées sur une plate-forme en Europe, elles sont visibles et que, lorsqu’elles sont visionnées, les auteurs reçoivent leur juste part des bénéfices.

La question de la disponibilité et de l’exploitation des œuvres audiovisuelles dans l’ensemble de l’UE est un sujet important actuellement débattu par les parties prenantes, dans le cadre d’un dialogue initié par la Commission européenne. L’ASA met deux points sur la table: premièrement, l’importance d’explorer tous les moyens possibles pour que les auteurs soient rémunérés équitablement pour l’exploitation de leurs œuvres (article 18) dans le respect de la territorialité des droits, deux principes qui constituent la base du modèle européen de licence audiovisuelle. Deuxièmement, l’ASA demande à la Commission de dialoguer avec les acteurs de l’audiovisuel sur un éventuel soutien financier public à des mécanismes d’octroi de licences innovants. Ce soutien s’inscrit parfaitement dans le nouveau programme MEDIA de l’UE pour la période 2021-2027, qui vise à aider l’industrie à relever les défis résultant de la crise du COVID-19 et de la concurrence mondiale croissante.

La SAA continuera à soutenir les réalisateurs et scénaristes européens, leur droit à rémunération et la disponibilité de leurs œuvres !

Le communiqué est à retrouver ici.

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