Alors qu’une nouvelle plateforme de vidéo à la demande vient de faire son apparition sur le marché avec un positionnement singulier, axé sur le e-cinéma, NPA Conseil propose de revenir sur les performances de ce mode de distribution alternatif préempté il y a quelques années de cela par Wild Bunch et TF1.
Lancement de e-cinema.com, plateforme hybride mêlant VOD et SVOD
Le 1er décembre dernier a vu le lancement d’une nouvelle plateforme de vidéo à la demande sur le marché français. Baptisé e-cinema.com, ce nouveau service présente un positionnement singulier à mi-chemin entre VOD locative et vidéo à la demande par abonnement. L’idée centrale du service est d’événementialiser le e-cinéma en créant un rendez-vous hebdomadaire, à l’image des sorties du mercredi sur grand écran, avec un nouveau film mis en ligne chaque vendredi à 14h. Il s’agit de longs-métrages exclusifs et inédits, qui ont pu faire l’objet d’une sortie en salles à l’étranger mais qui ne passeront pas par la case cinéma classique en France. Un mode de distribution alternatif qui permet de contourner l’encombrement des salles (716 films sortis sur grand écran en 2016 contre moins de 600 cinq ans auparavant[1] alors que les Français se rendent en moyenne 5 fois au cinéma par an) mais aussi la chronologie des médias. A la place, e-cinema.com choisit de les proposer directement à la location au prix de 4,99€ la séance (3,99€ en précommande). Ces films seront disponibles à la location pendant un minimum de 12 semaines, après quoi ils intègreront le catalogue de SVOD proposé en parallèle par la plateforme. Les e-billets sont valables 12 semaines et restent valides les 5 jours suivants la première lecture du film. Le « Pass Liberté », pour un accès illimité au catalogue, est quant à lui fixé à 5,99€ par mois (offre promotionnelle de lancement), sans engagement, et avec un premier mois d’essai gratuit. A ce tarif, l’abonné accède à l’ensemble du catalogue de programmes, agrémenté chaque semaine d’un nouveau film inédit. L’idée des trois fondateurs[2] du service est de reproduire l’achat d’une place ou d’un pass cinéma (séance VOD ou abonnement SVOD dans le cas de e-cinéma.com), comme cela peut se faire pour les salles obscures.
e-cinema.com se trouve par ailleurs enrichi d’un magazine hebdomadaire de 26 minutes (« Vendredi 14h »), conçu et présenté par Audrey Pulvar, dédié à l’actualité du cinéma (débat avec des professionnels du secteur autour d’un thème spécifique, actualité des sorties en salles, des sorties e-cinéma…). L’appareil critique est complété par un blog et une chaîne YouTube. A son lancement, le service est disponible sur ordinateur en se connectant directement au site, mais également sur TV via une clé Chromecast ou une Apple TV, ainsi que sur iPhone et iPad grâce à l’application iOS disponible sur l’App Store. Le service sera accessible sur terminaux Android dans un deuxième temps. Des partenariats avec les opérateurs pour une reprise du service sur Box TV sont par ailleurs à l’étude.
Côté contenus, une trentaine de longs-métrages ont été achetés pour le lancement du service[3], principalement à l’international. Il s’agit essentiellement de films primés dans des festivals entre 2015 et 2016 (Berlin, Cannes, Deauville, Toronto, Venise…), qui n’ont pas trouvé preneur au cinéma, et dont les droits ont été achetés tous supports, pour une durée de sept à douze ans. Parmi les premiers films mis en avant figurent Outrage Coda, le dernier film de Takeshi Kitano, présenté en clôture du Festival de Venise, The Bachelors de Kurt Voelker avec Julie Delpy, en compétition à Deauville ou encore The Confirmation de Bob Nelson avec Clive Owen. Ces œuvres auront leur propre chronologie des médias, d’abord réservées exclusivement au service de VOD/SVOD, elles pourront faire ensuite l’objet d’autres exploitations (télévision, vidéo physique…). En vitesse de croisière, le service devrait proposer une centaine de films. Au-delà de l’acquisition de droits, e-cinema.com ambitionne d’investir dans la coproduction d’œuvres originales dès 2018, avec des budgets compris entre 1,5 et 2 millions d’euros.
Quelles performances pour TF1 et Wild Bunch, les pionniers du e-cinéma
L’ambition de e-cinema.com est de faire découvrir aux spectateurs des films inédits, qui ne pourraient trouver leur public en salles, en s’adaptant à l’évolution des usages numériques qui permettent une consommation plus facile, rapide et économique. L’objectif annoncé par l’équipe dirigeante du service est de dépasser rapidement les 100 000 abonnés. Si l’initiative est prometteuse, tout l’enjeu est de savoir si le marché français dispose d’un vivier de spectateurs suffisant pour la transformer en succès. Bien que peu mis en avant, le concept de e-cinéma n’est en effet pas nouveau en France, des défricheurs tels que le distributeur Wild Bunch mais aussi TF1 ont préempté le segment avec des premiers tests dès 2014 pour le premier, et 2015 pour le second.
Wild Bunch a ainsi inauguré le e-cinéma avec la sortie de Welcome to New York d’Abel Ferrara, présenté en marge du Festival de Cannes au printemps 2014, qui avait réalisé 48 000 actes de consommation lors de son jour de lancement (plus de 100 000 en première semaine). Trois ans plus tard, l’offre de e-cinéma s’est étoffée. TF1 lui a dédié un corner au sein de sa plateforme de vidéo à la demande, MyTF1VOD, qui compte aujourd’hui une vingtaine d’œuvres, dont les titres détenus par Wild Bunch avec qui le groupe audiovisuel a passé un accord de distribution.
En termes de performance, le panel VOD de l’institut GfK, qui mesure la consommation de vidéo à la demande payante en France, montre qu’au global, les œuvres ayant fait l’objet d’une sortie e-cinéma ont généré plus d’un million d’actes de consommation (1,198 M d’actes tous titres confondus) et près de 8 millions d’euros de revenus (7,688 M€) depuis leurs débuts. Adaline de Lee Toland Krieger, avec Blake Lively et Harrison Ford, reste à ce jour le plus grand succès en e-cinéma avec 180 K actes de consommation et plus d’un million de chiffre d’affaires généré. Un seul autre long-métrage, Welcome to New York, au sujet sulfureux et à la forte exposition médiatique, est parvenu à franchir la barre symbolique du million d’euros de recettes. La structure du CA global est quant à elle nettement dominée par des œuvres qui ont collecté moins de 250 K€ de recettes (16 titres sur 25 sortis en e-cinéma à ce jour).
Les variations de performance entre les différentes œuvres peuvent s’expliquer par une somme de facteurs comme pour les films sortis en salles : potentiel du film (casting, réalisateur, budget, qualité du scénario, etc.), moyens marketing, distribution… Il n’en reste pas moins qu’en moyenne, si l’on exclut le film Trahisons mis en ligne début décembre, les longs-métrages exploités sous l’appellation e-cinéma génèrent autour de 50 K actes de consommation pour un CA légèrement supérieur à 300 K€. Des chiffres qui posent la question de la rentabilité de ces œuvres dont les montants d’acquisition sont souvent supérieurs à 300 K€ et donc difficiles à amortir sur la seule exploitation VOD. Si ces œuvres n’auraient guère eu plus de chances de s’imposer en salles – noyées dans la masse, dans l’ombre des locomotives du Box-Office, avec une durée de vie moyenne à l’affiche faible et des budgets marketing autrement plus élevés – leur avenir financier ne semble pas pour autant assuré en e-cinéma et nécessitera d’organiser habilement leur cycle de vie sur les différents supports d’exploitation disponibles (DVD, EST, télévision payante, en clair…).
Performances des œuvres sorties directement en e-cinéma / 2014-2017
Source : NPA Conseil sur données GfK
Face à la concurrence de TF1 et Wild Bunch, qui distribue également des films en e-cinéma via sa plateforme de vidéo à la demande FilmoTV, e-cinema.com entend tirer son épingle du jeu en proposant une offre principalement axée sur des films exclusifs, et en créant un rendez-vous hebdomadaire pour faire naître de nouvelles habitudes de consommation. Une offre que les fondateurs du site jugent différente de celles de leurs concurrents où les longs-métrages sont noyés dans la masse des films proposés en VOD traditionnelle et sans qu’une logique de programmation ne soit clairement établie. Une approche éditoriale qui rappelle celle de Outbuster, lancé à l’été 2016, qui permet d’accéder à un catalogue de plus de 80 longs-métrages inédits en salles, alimenté par une ou plusieurs nouveautés chaque semaine, pour un tarif de 6€ par mois. Un service qui, un an après son lancement, n’est pas encore parvenu à atteindre l’objectif qu’il s’était fixé, à savoir 10 000 abonnés et se limite à ce jour à un millier de souscripteurs. Une situation qui en dit long sur les difficultés à percer sur le marché concurrentiel de la vidéo à la demande. Une concurrence d’autant plus forte, qu’elle est désormais élargie aux plateformes de SVOD internationales comme Amazon et Netflix qui, bien que généralistes, investissent elles aussi les festivals et marchés du film pour alimenter leur programmation de longs-métrages inédits[4]. Une programmation qui présente l’avantage de ne pas être soumise à la chronologie des médias et que ces géants du net promeuvent à coups de millions de dollars.
[1] D’après le Baromètre des offres SVOD NPA Conseil de novembre, Netflix compte 82 films inédits produits en 2017 (5% de son offre Cinéma), Amazon Prime 23 (4% de son offre Cinéma).
[2] CNC : Les principaux chiffres du cinéma en 2016.
[3] L’initiative est lancée par Frédéric Houzelle, dirigeant du groupe de postproduction d’Atlantis TV. Il est accompagné dans son projet par ses deux associés fondateurs que sont Roland Coutas (fondateur de Travelprice.com et ancien PDG de Telemarket.fr qui occupe le poste de vice-président) et Bruno Barde (directeur du festival du film américain de Deauville qui officie en tant que directeur artistique).
[4] Daniel Preljocaj, ancien directeur général de TF1 droits audiovisuels, est en charge des acquisitions.