L'édito de Philippe Bailly

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« Monde réel, monde perçus » , la 7e édition de l’étude Françaises, Français, etc.

La première table ronde du 31ème Colloque NPA était consacrée à la présentation des résultats de la septième édition de l’étude « Françaises, Français, etc. Monde réel, Mondes perçus… » réalisée par le cabinet Georges et 366, la régie publicitaire de la Presse Quotidienne Régionale, de ses déclinaisons digitales et TV Locales. Edouard Lecerf et Dominique Lévy Saragossi, coprésidents du cabinet Georges ont commenté les enseignements principaux de l’étude avant de laisser place aux réactions et aux analyses de Michaël Nathan, Directeur général du SIG (Service d’information du Gouvernement), Bruno Ricard, Directeur Général Adjoint, Marketing, Communication et Etudes de 366 et Lucie Robequain, Directrice des rédactions de la Tribune.

Il s’agit de la septième édition de l’étude « Françaises, Français, etc. » publiée tous les deux ans depuis 2012 afin de mettre en perspective les tendances et signaux faibles à l’œuvre dans la société française. En termes de méthodologie, elle repose sur quatre piliers : une phase de planning stratégique pilotée par le cabinet Georges, une phase de big data sémantique pour identifier les mots clés de l’étude à partir du corpus des articles des journaux de la PQR, une phase d’ethnographie digitale pour prolonger le portrait de la France de 2024 par la recherche de signaux faibles, enfin, une phase de validation quantitative grâce à un terrain en ligne mené par Kantar (3 006 individus représentatifs des Français de 18 ans et plus).

Les Français sont bousculés dans leur rapport à l’altérité, à l’adversité et à l’avenir

Cette année la problématique de la confiance est centrale dans l’étude. Depuis la dernière livraison en 2022, les guerres, les crises, l’instabilité politique, la polarisation et les fractures de la société se sont développées. Les Français sont bousculés dans leur rapport à l’altérité, à l’adversité et à l’avenir. Pour faire face, le sentiment de maitrise, de reprise du contrôle est essentiel et débouche sur un biais de confirmation, mécanisme qui dans la psychologie conduit à privilégier les informations qui confirment ses propres hypothèses ou ses idées préconçues. On cherche donc à adapter le réel à soi, faute de pouvoir s’adapter au réel.

Ainsi, la nouveauté n’est pas la division ou la fragmentation, mais plutôt « ce sur quoi nous divergeons désormais : le réel lui-même et la façon dont nous l’appréhendons et nous nous le représentons ». Les Français peinent à construire une réalité commune, « le socle de réel commun » se réduit au profit de réels pluriels, particuliers, de plus en plus individuels et donc fragmentés. Le récit collectif s’affaiblit à mesure que les récits individuels ou communautaires se multiplient. Nous finissons donc pas vivre dans des bulles qui « bouclent », chacun perd ses repères et « peine à stabiliser sa compréhension du réel ». Deux exemples permettent d’illustrer ces réalités parallèles qui se ferment les unes aux autres et qui racontent des histoires différentes de la société française. D’abord l’insécurité avec des perceptions très variables : la proportion des Français qui se sentent souvent ou de temps en temps en insécurité s’est stabilisée depuis une quinzaine d’années autour de 11 % (Insee), mais dans le même temps 92 % des Français estiment que l’insécurité a progressé dans le pays (Odoxa). En parallèle, les statistiques du Centre d’Observation de la Société (Compas) montrent que le nombre de crimes et délits baisse. Plusieurs façons d’appréhender la réalité. Autre exemple, celui de l’inflation : à fin mai 2024, Circana qui mesure la réalité des prix des produits de grande consommation chiffre l’inflation à un an à -0,1 %. L’Insee parle pour sa part d’une inflation à +2,4 % alors que les Français interrogés sur le sujet l’évaluait à +13 %. Le décalage nourrit la défiance et notre propre ressenti devient une mesure de la réalité.

La crise du réel génère la crise de la confiance. Les deux fonctionnent en boucle. « Faire confiance à l’autre c’est considérer que l’autre va parler de vous de manière juste et de manière sincère ». Or les Français n’ont pas le sentiment que les différentes entités qui doivent construire le socle commun (la classe politique, les médias…) parlent d’eux en connaissance de cause et de manière sincère. Il y a donc une crise de confiance qui se traduit par la crise des faits, de la preuve, du chiffre et de l’expertise. Les réseaux sociaux ou l’IA générative accélèrent la crise en nourrissant le mouvement de rupture de la confiance. Un Français sur deux estime que son jugement personnel est aujourd’hui plus pertinent que les propos d’un scientifique. La France se classe en queue de peloton des pays qui ont le plus confiance dans un fait lorsqu’il est appuyé par des chiffres, étayé par des statistiques.

Cette crise de la confiance c’est aussi une crise de la communication. De quoi parlons nous, à qui parlons-nous ? De quelle société française parlons-nous ? Celle de la Fièvre, la série de Canal+ qui a donné lieu à une publication d’experts pour tenter de décrypter l’embrasement de la société ? Celle de la France débrouillarde, système D, véhiculée par une autre série, HPI ? Ou finalement la France de la liesse qui a fait vibrer chacun pendant les Jeux olympiques ? « Alors c’est quoi la société française ? ». En fonction de la réalité à laquelle on croit on ne reçoit pas l’information de la même manière.

Autre exemple, celui des territoires. Que sont-ils ? Une ruralité en crise ? Pourtant l’étude Publicis Media et 366 « DiversCités » montre très clairement que les Français les plus heureux sont ceux qui vivent en périphérie des villes. Cette périphérie que l’on appelle dans le même temps « la France moche » en référence à la Une de Télérama qui a suscité la polémique. Ces différents mondes perçus peuvent également se décliner autour du thème de l’identité avec une fracture très importante entre l’assignation et la fluidité (être ce que l’on a décidé d’être). Les conséquences sont importantes avec un retour de la tendance du masculinisme comme on l’a vu lors des élections présidentielles américaines et plus globalement un phénomène de « Gender Gap » qui montre étude après étude une forte réaction aux idées progressistes chez les garçons dans les générations les plus jeunes. Le genre est maintenant un sujet sur lequel le réel est questionné.

La crise de la parole et la crise du réel s’articulent dans l’ensemble des sujets

La crise de la parole et la crise du réel s’articulent dans l’ensemble des sujets, du climat jusqu’au progrès avec une dichotomie entre le mouvement puissant de la nostalgie (exemples du walkman ou du disque vinyle) et celui du techno-futurisme, en passant par le discours de l’Etat sur l’Etat lui-même avec en parallèle le discours « d’un Etat pour tous » et un autre « d’un Etat pour soi, pour chacun ».

Comment faire dès lors pour reconstruire du commun, pour réussir de nouveau à se parler ? L’étude montre qu’il reste des objectifs communs ou partagés, et en premier lieu celui « de kiffer », de se poser, d’être chez soi, au calme et dans la tranquillité. C’est ce à quoi nous aspirons tous. Cela amène des besoins fondamentaux, assez universels qui sont encore plus exprimés aujourd’hui qu’auparavant : le besoin de réassurance, la demande de sécurité, le besoin d’un récit cohérent, celui d’une projection (raconter une possible suite à notre histoire commune), enfin – et c’est sans-doute la demande la plus importante – celle du besoin de reconnaissance et de la dignité. Dès lors, chacun met en place des stratégies individuelles pour s’armer et se défendre du mieux possible (compléments alimentaires pour les uns, salles de sport pour les autres), pour s’allier, s’ancrer (appartenir à un territoire, à un réseau), et finalement pour pouvoir s’échapper.

Face aux réels multiples, il reste néanmoins certaines forces pour jouer un rôle de concertation, pour tenter de reconstruire du commun. Il existe plusieurs exemples, les conventions citoyennes, les concertations locales des collectivités territoriales, les débats, et dans tous les cas le local comme échelon essentiel. Il faut aussi refaire preuve de courage, avoir le courage de la nuance. Enfin, pour pouvoir se projeter vers l’avenir il faut s’appuyer sur plusieurs lectures de la société : celle de l’Archipel français (Jérôme Fourquet), une nation multiple et divisée, celle de la mosaïque française (Sandra Hoibian), et pour trouver du liant celle finalement des Institutions invisibles (Pierre Rosanvallon) qui permet d’identifier la légitimité, l’autorité et la confiance comme les émulsifiants nécessaires pour créer un nouveau corps social, refaire société commune. Concrètement, décideurs, entreprises, médias doivent allier leur raison d’être avec leurs manières d’agir en mettant de la vertu dans chaque acte pour retrouver la confiance des Français. « Nous sommes absolument condamnés à agir de façon cohérente (…) avec exemplarité, avec volontarisme (les choses ne sont pas simples et la dictature de l’audience peut être questionnée), avec considération et avec empathie ».  

Les médias ont toute leur part dans les évolutions de la société

Michaël Nathan, Directeur général du SIG a ensuite expliqué comment et pourquoi le Service d’information du Gouvernement avait décidé de participer cette année à l’étude 366, plus précisément au chapitre « Citoyennes, citoyens, etc. ». La communication institutionnelle et gouvernementale nécessite de sortir d’une approche empirique ou intuitive en se basant sur de nombreux Insights grâce à de nombreuses études du temps réel.  Il faut pouvoir capter des éléments pour définir une stratégie de communication. L’enjeu principal pour le SIG est de comprendre pourquoi il existe un tel gap, un tel différentiel entre l’action effective des pouvoirs publics et le ressenti des Français. C’est indispensable pour avoir une communication institutionnelle efficace.

Pour Bruno Ricard, Directeur Général Adjoint, Marketing, Communication et Etudes de 366, les médias ont toute leur part dans les évolutions de la société mais également toutes les clés pour résoudre les problèmes. Trois différents types de médias structurent aujourd’hui le paysage : les réseaux sociaux qui participent à l’atomisation des réels, les médias clivants ou médias d’opinion, et les médias qui essaient de fabriquer du consensus. Chacun à sa place dans la société et un rôle à jouer. Mais pour que les médias de consensus se fassent entendre ils ont besoin de puissance et de générer de la confiance. Le rôle de la PQR, puissante et qui construit de la confiance par le fait local, est donc plus que jamais indispensable. Concernant le choix de plusieurs titres de presse de quitter le réseau social X, c’est une manière de dénoncer une forme de manipulation de l’opinion en tordant les algorithmes. La problématique de la désinformation adresse toute la société aujourd’hui.   

Lucie Robequain, Directrice des rédactions de la Tribune estime qu’il faut continuer d’informer et d’apporter des points de vue différents au sein des réseaux sociaux même quand ils font polémique. Ne pas participer c’est aussi une manière de renforcer le communautarisme sur ces réseaux. Les médias doivent faire vivre le débat d’idées mais uniquement dans la rationalité. La contradiction n’est pas obligatoire si on déborde le cadre de la rationalité. La Tribune s’y emploie et souhaite réinvestir le terrain de la proximité en étoffant son offre régionale. Il faut également lutter contre la dictature de l’audience, « accepter de faire moins d’audience et plus d’intelligence »

Concernant la présence du SIG sur les réseaux sociaux, Michaël Nathan rappelle que la prise de parole sur ces réseaux reste essentielle, y compris sur X. Le gouvernement français est le deuxième au sein de l’UE en termes de puissance de l’audience sur le social. C’est le fruit du développement d’une forte activité éditoriale, du développement des compétences en interne. S’il n’y a donc pas de volonté de quitter les réseaux, il n’y a plus en revanche d’investissements publicitaires du SIG sur X depuis plusieurs années. C’est une décision liée directement à la performance et à l’efficacité de ce levier plutôt qu’un parti pris lié aux dérives du réseau. Les budgets ont été réalloués sur d’autres environnements y compris les médias de proximité pour répondre aux différents biais révélés par l’étude 366. Les Français considèrent que l’action de la puissance publique ne correspond pas à leurs attentes. Pour résoudre ce biais de perception et lutter contre la radicalité de l’expérience soulevée par l’étude (si je ne le ressens pas c’est que ça n’existe pas), il faut adapter la communication. Le gouvernement doit être dans la preuve, apporter la preuve de ce que l’on a fait. La proximité est un des leviers importants pour une communication efficace. « Il faut être sur le chemin du citoyen, au plus près de l’expérience qu’il vit ».  Une politique publique au niveau global, pour tout le monde, ne peut pas faire l’objet d’une communication efficace. Il est nécessaire de la décliner au niveau local, individuel. C’est « la granularisation de la politique publique ». De la même manière, pour lutter contre les biais d’expérience, les administrations publiques partagent et mettent à disposition leurs données en toute transparence. La politique de l’open data participe à l’émergence d’une vision rationnelle.

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