Ainsi que l’a rappelé très récemment un dirigeant du secteur de la distribution cinématographique, dont l’entreprise est une filiale de groupe de télévision, il a fallu plus de 10 ans et deux périodes d’expérimentation successives pour que l’interdiction de publicité pour le cinéma à la télévision soit définitivement levée avec la parution, le 6 avril dernier, du décret n°2024-313 du 5 avril 2024 portant modification du régime de publicité télévisée. Le décret autorise également la diffusion de messages publicitaires concernant le secteur de l’édition littéraire sur les chaînes de la TNT, à titre expérimental et pour une période de vingt-quatre mois, sur le modèle de ce qui a été envisagé pour le cinéma en 2020. Le gouvernement rendra un rapport, au plus tard 21 mois après l’entrée en vigueur du décret, évaluant l’impact de cette mesure sur le secteur de l’industrie du livre. En revanche, le gouvernement n’a pas ouvert, fut-ce à titre expérimental, la publicité à la télévision pour les opérations commerciales du secteur de la grande distribution.
Avec trois années de recul sur l’ouverture de la publicité pour le cinéma à la télévision, le baromètre trimestriel du CNC et l’étude d’impact, réalisée par Eurogroup Consulting, pour la DGMIC et rendue publique en janvier dernier, permettent d’évaluer les recettes que le cinéma a apportées au secteur de la télévision, et de mesurer les effets relatifs sur les autres secteurs qui étaient utilisés historiquement comme leviers de promotion pour le cinéma (Salles, radio, presse, affichage etc.). Les chiffres publiés par le SNE dans le cadre de son étude, publiée en 2024 sur le partage de la valeur entre auteur et éditeurs, permettent quant à eux de faire un peu de prospective sur la portée de la levée décidée, à titre expérimental, pour le secteur de l’édition.
Le bilan d’une ouverture expérimentale de la publicité télévisée pour le cinéma et les perspectives sur ce secteur
La publicité pour le cinéma à la télévision a été prévu, de manière provisoire et expérimentale, par le décret n°2020-983 du 5 août 2020. Cette dérogation au principe de l’interdiction a été prorogée jusqu’au 6 avril 2024 par le décret n° 2022-1290. Cette prolongation avait été jugée indispensable au regard des effets de la crise sanitaire (fermeture quasi-ininterrompue des salles jusqu’en mai 2021), qui ne permettaient pas de tirer des enseignements fiables sur l’impact de l’ouverture de la publicité télévisée.
L’étude, réalisée par Eurogroup Consulting, sur la période allant du début de l’expérimentation en août 2020 jusqu’à la fin du premier trimestre 2023 permet de tirer un premier constat sur l’évolution des investissements publicitaires pluri média du cinéma, en déclin de 22,3 % entre 2019 et 2022 (pouvant s’expliquer par la production plus faible des majors américaines, principaux moteurs du marché) et une tendance qui s’est prolongée au premier semestre 2023 (malgré la retour marqué des blockbusters américains Super Mario Bros, Les gardiens de la galaxie 3, Elémentaire, Indiana Jones et le cadran de la destinée, Fast and Furious X, Creed III etc.).
En second lieu, l’étude relève que la publicité pour les films effectuée en salles de cinéma a perdu 3,8 points entre 2019 et 2022 (-74 M€) mais que l’évolution a été moindre sur les autres médias (-1,1 points pour la presse, -1 point pour la radio et -2,5 points pour l’affichage). Le gain net en valeur pour la TV au regard de l’année 2019 (année sans publicité mais avec parrainage d’émissions) se chiffre à 31 M€ (pour un montant global annuel de publicité télévisée pour le cinéma de près de 50 M€).
La levée de l’interdiction a surtout bénéficié aux majors américaines qui représentent plus de la moitié des investissements en publicité TV, suivies de près par les distributeurs intégrés à des groupes audiovisuels (37 %). Ces derniers bénéficient d’une meilleure compréhension du média et savent comment maximiser leur impact promotionnel avec ce support et l’étude relève que « le public des films préfinancés par les groupes audiovisuels est proche du profil des téléspectateurs de leurs chaînes » renforçant ainsi la logique du film produit pour l’antenne.
Sur la diversité appréciée au regard du budget de promotion du film, l’étude relève que la publicité télévisée n’est pas réservée aux films pour lesquels le budget promotionnel est le plus important : près de la moitié des films qui ont annoncé en télévision en 2022 disposaient d’un budget promotionnel compris entre 1 et 3 M€ et un quart entre 500 k€ et 1 M€. L’étude ne publie pas la liste des films concernés, ne permettant pas de se faire une idée précise sur le budget global des films qui bénéficient de la publicité télévisée.
Enfin, la pression publicitaire (en nombre de spots) bénéficie légèrement aux majors américaines qui concentrent 43,7 % des spots, contre 42,7 % pour les films français entre 2020 et 2022 mais les films français (pouvant aussi être distribués par certaines majors américaines dont Warner et Universal) représentent 59 % des films bénéficiaires de la publicité TV.
L’ouverture définitive de la publicité pour le cinéma à la télévision n’a pas encore porté tous ses effets et n’a pas forcément été intégrée par l’ensemble des distributeurs mais le baromètre trimestriel publié par le CNC depuis le dernier trimestre 2022 ne permet pas d’identifier un effet inflationniste significatif dans le montant des investissements publicitaires réalisés pour la sortie des films (50 M€ environ sur l’année 2022), et l’année 2023 (les trois premiers trimestres au moins) ne semble pas avoir été marquée par un accroissement des dépenses de publicité TV de la part du cinéma.
Quelle perspective de recettes publicitaires pour l’ouverture à l’édition littéraire sur les services de la télévision TNT ?
Pour rappel, la publicité pour l’édition littéraire était déjà ouverte pour les chaînes thématiques, dites cabsat, mais on ne dispose pas de données spécifiques relatives au montant que l’édition littéraire investit sur ces dernières.
En revanche, le SNE a publié une étude récente, portant sur le partage de la valeur entre auteur et éditeur littéraire, dans laquelle un montant global des frais promotionnels est établi pour l’ensemble du secteur de l’édition littéraire. Cette étude, menée par KPMG, porte sur l’année 2022 et est basée sur un ensemble de maisons d’édition de tailles différentes, représentatives des différents segments éditoriaux.
Selon cette étude, l’ensemble des frais Marketing-Promotion représentent 42,095 M€ par an soit 3,75 % du Chiffre d’affaires au prix public hors taxes. Ces frais promotionnels regroupent les frais de catalogues, PLV, publicité, exemplaires de services de presse, ouvrages gratuits, opérations spéciales, jeux-concours, déplacement des auteurs, réseaux sociaux, cocktails de lancement, etc.
Au vu de cette structure de coûts promotion-marketing, du résultat d’exploitation du secteur dans les données collectées par KPMG (sans possibilités significatives d’augmentation des budgets consacrés à la publicité) et en établissant un parallèle avec la part que la publicité télévisée représente pour le cinéma (13 %), il apparait peu probable que l’ouverture se traduise par des investissements en télévision supérieurs à 5 / 6 M€ par an.