L'édito de Philippe Bailly

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Lutte contre les fake news : un possible vecteur de coopération entre plateformes en ligne et médias

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La consultation publique ouverte la semaine dernière par la Commission européenne sur la lutte contre les fake news et la désinformation relance les débats sur la relation entre les plateformes en ligne et les médias traditionnels. La question de la diffusion de fausses informations, qui est décrite par le Think Tank du Parlement européen comme un « instrument de guerre de l’information », implique en effet de mettre en question le rôle des plateformes en ligne dans la dissémination rapide et massive d’informations fausses, contestables et/ou orientées, et de s’interroger sur la place des médias sur internet. Pour Andrus Ansip, Vice-président de la Commission européenne pour le marché unique numérique, il s’agit de « trouver un équilibre entre la liberté d’expression, le pluralisme des médias et le droit des citoyens à des informations diverses et fiables ». L’Union européenne, qui a déjà déployé de nombreuses initiatives de lutte contre ce phénomène, semble tenter de susciter un rapprochement entre les médias traditionnels et les plateformes en ligne.

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La consultation publique lancée par la Commission vise à recueillir les avis et recommandations des plateformes en ligne, des médias, de la société civile, des citoyens et des décideurs sur la définition du phénomène des fake news et les méthodes pour lutter contre. Les résultats devront aussi alimenter les discussions menées par le groupe d’experts de haut niveau, que Mariya Gabriel, commissaire européenne à la société et l’économie numérique, a souhaité constituer sur la question en ouvrant un appel à candidatures, qui sera clos mi-décembre. Ce groupe d’experts devrait rendre une communication sur les fake news et la désinformation au printemps 2017. Dans le cadre de la consultation, Mariya Gabriel appelle à la soumission de « solutions inclusives », qui s’appuiraient sur une « implication des parties prenantes » et sur les « efforts communs et le partage d’expérience » entre plateformes en ligne et médias traditionnels.

Alors que les relations entre ces deux ensembles d’acteurs demeurent tendues, les incitations de l’Union européenne à lutter ensemble contre les fausses informations pourraient aboutir à une coopération entre médias et plateformes, via une mise en commun de leurs savoir-faire respectifs.

Une action commune dans la lutte contre les fake news

Dans le questionnaire dédié aux personnes morales et aux journalistes, plusieurs solutions de coopération sont mises en avant, tant côté plateforme que côté médias. Les acteurs sont ainsi interrogés sur l’effectivité de solutions comme le fait, pour les plateformes en ligne, de hiérarchiser les informations, en faisant ressortir les « sources fiables » dans l’affichage et le classement des résultats de recherche ou les fils d’actualités. D’autres solutions proposées consistent en une rémunération plus élevée des organismes de médias qui produisent des informations fiables en ligne, une mention précisant si l’article a été écrit par une personne ou un robot, ou un mécanisme proposant de reconduire l’utilisateur vers d’autres articles de médias traitant le même sujet que l’article en question.

Plusieurs des options proposées par la Commission sont déjà mises en œuvre via des partenariats entre médias et plateformes, ou par des organismes communautaires ou associations. Le Trust Project par exemple rassemble plus de 75 organismes de médias ainsi que plusieurs des grandes plateformes en ligne (comme Google, Facebook, Bing et Twitter) dans le but d’améliorer la transparence des agences de médias et de fournir au public les informations nécessaires pour évaluer la qualité et la crédibilité des informations qui leur sont présentées.

Au niveau de l’Union européenne, la East Stratcom Task Force, qui regroupe 14 experts en médias et en communication recrutés dans les institutions et Etats membre de l’Union, a notamment pour objectif « d’améliorer la capacité de l’Union européenne à anticiper, appréhender et répondre à la désinformation ». Cette initiative a, entre autre, lancé la campagne « EU vs Disinformation », qui vise à répondre aux fake news « pro-Kremlin ». De la même manière, la Commission a mis en place en début d’année la South Stratcom Task Force, focalisée sur la radicalisation islamiste. Dans une lettre ouverte du 12 octobre dernier à Federica Mogherini, la Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la sécurité, 8 Etats membres ont appelé au renforcement de ces mécanismes, de façon à ce qu’ils bénéficient de « ressources suffisantes » et d’une « base institutionnelle ferme ».

La Commission et le Parlement européen ont de plus fortement incité les principales plateformes à adopter des mécanismes de vérification des informations qui circulent sur leurs plateformes. Par exemple, le Parlement européen a adopté une résolution le 15 juin dernier sur les plateformes en ligne et le marché unique numérique, où il est instamment demandé aux plateformes de mettre en place des mécanismes de vérification des faits.

Plusieurs plateformes, comme Facebook et Google, ont depuis adopté un certain nombre de mesures pour faciliter l’identification des fake news et en limiter la circulation. Par exemple, ces entreprises ont recours à des tiers de confiance, et notamment des médias, qui sont chargés de vérifier la véracité des informations qui sont signalées par les utilisateurs comme étant de potentielles fake news.

Entre partenariats et rivalités

La mise en place d’une telle coopération ne s’annonce pas simple pour autant. Les tensions entre médias et plateformes en ligne demeurent fortes, les uns reprochant aux autres de profiter de leur maîtrise du web pour tirer profit de la circulation des contenus médiatiques sans en payer le prix. Plusieurs partenariats ont vu le jour, mais certains voient ces accords comme un moyen pour les plateformes d’user de leur pouvoir de marché pour mettre les médias dans une situation de dépendance.

D’une part, les hostilités entre les éditeurs de presse et les principales plateformes en ligne sur le partage de la valeur issue des articles de presse se poursuivent, comme en témoignent les débats actuels sur la mise en place d’un droit voisin des éditeurs sur l’utilisation en ligne des articles de leurs publications de presse (article 11 de la proposition de directive sur le droit d’auteur, en cours d’examen). Ce droit voisin viserait à forcer les platefomes en ligne à rémunérer les éditeurs de presse à chaque fois que tout ou partie d’un de leurs articles est indexé par un agrégateur d’articles. En outre, l’étude d’impact de la directive précise que cela « renforcerait (…) le pouvoir de négociation » des éditeurs de presse, notamment au regard des plateformes en ligne et des réseaux sociaux.

D’autre part, l’importance pour les médias d’étendre leur audience et l’intérêt pour une plateforme (et particulièrement pour un réseau social) de permettre aux utilisateurs d’avoir accès à de l’information et des contenus ont conduit les plateformes et les médias à trouver des accords et établir des partenariats. Ainsi, le Facebook Journalism Project est décrit par Edouard Braud, directeur des partenariats médias pour l’Europe du Sud chez Facebook, comme une initiative visant à « faire le lien entre l’écosystème des médias au sens large et les équipes de Facebook » ; le rôle de Facebook est de « travailler conjointement avec les médias au développement d’outils destinés à enrichir leur expérience ».

Pour l’Observatoire Européen du Journalisme, qui a recueilli les propos de Facebook ci-dessus, ces partenariats illustrent la poursuite par Facebook d’une « redoutable stratégie », au terme de laquelle les médias traditionnels se sont retrouvés en position de « servitude volontaire » et de « dépendance » vis-à-vis de Facebook. Selon l’Observatoire, appâtés par un fort gain d’audience, les médias auraient dédié, contre rémunération, une forte partie de leur activité à la production de contenus destinés au réseau, dont ils seraient désormais dépendants.

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