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Dans un litige opposant l’éditeur italien RTI à l’entreprise britannique VCAST, qui fournissait un service d’enregistrement numérique à distance à ses abonnés portant notamment sur les programmes de RTI, la Cour de justice de l’Union a jugé aujourd’hui que VCAST possédait « une double fonctionnalité, consistant à la fois à assurer la reproduction et la mise à disposition des œuvres », et ce sans autorisation de la chaîne RTI. La Cour a considéré que la mise à disposition des programmes par VCAST constituait un « mode technique spécifique » et que l’entreprise réalisait donc une « communication au public ». Ainsi, le service fourni par VCAST ne saurait se prévaloir de l’exception de copie privée pour se dispenser de l’obligation d’obtenir l’autorisation des titulaires de droit pour cette communication. La Cour de justice rend ainsi un arrêt d’espèce, la solution étant limitée aux services d’enregistrement numérique à distance qui réalisent, au-delà de l’offre de reproduction, une mise à disposition non autorisée des programmes d’un éditeur. Elle admet toutefois la compatibilité entre application du régime de l’exception de copie privée et intervention d’un tiers dans l’acte de copie, tel que c’est le cas dans l’hypothèse d’un service nPVR.
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Le contexte
Le service VCAST, établi au Royaume-Uni, met à disposition de ses utilisateurs un système d’enregistrement numérique à distance des programmes de télévision diffusés par des chaînes italiennes. Le site internet de VCAST permet à ses utilisateurs de sélectionner un programme TV ou une plage horaire, qui sera enregistré sur un serveur détenu par un prestataire tiers, puis mis à disposition de l’utilisateur à la demande et sans limitation. Le service offre une formule de base gratuite, financée par la publicité, et deux formules payantes.
Le litige dont est saisi le tribunal de Turin concerne l’enregistrement dans le « nuage » des programmes de la chaîne RTI, du groupe Mediaset, qui conteste la légalité de l’activité de VCAST. La société britannique, qui prétend que son activité relève de l’exception de copie privée, a assigné RTI devant la justice italienne afin qu’elle reconnaisse au contraire sa légalité. De son côté, RTI demande l’interdiction de la poursuite de l’activité de VCAST et la réparation du préjudice subi de son fait. Après avoir adopté des mesures provisoires pour interdire l’enregistrement des programmes de RTI, le tribunal de Turin a sursis à statuer et posé, le 12 mai 2016, deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne.
Elle demande ainsi au juge européen si la directive 2001/29 « Infosoc » et son article 5 s’opposent à une disposition nationale qui interdirait à un entrepreneur commercial de fournir à des particuliers un service d’enregistrement numérique à distance (« nPVR »), en intervenant activement dans l’enregistrement et sans autorisation des titulaires de droit. Elle demande ensuite si une disposition nationale qui, à l’inverse, autorise un tel service en contrepartie d’une compensation forfaitaire rémunérant les titulaires de droits est conforme à la directive 2001/29.
Dans ses conclusions, l’Avocat général de la Cour de justice, M. Szpunar, estimait que, lorsque la copie est réalisée sur une œuvre transmise ou retransmise licitement, rien ne s’oppose donc à ce qu’un service de nPVR soit soumis à la copie privée. Néanmoins, tout service qui ne satisferait pas au « test en trois étapes », lequel suppose notamment qu’aucune atteinte ne soit portée à l’exploitation normale de l’œuvre, pourrait être exclu du bénéfice de l’exception de copie privée.
La « double fonctionnalité » du service proposé par VCAST
La Cour de justice de l’Union souligne dans un premier temps que les exceptions et limitations au droit d’auteur ne sont applicables « que dans des cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre protégée », ni ne causent un « préjudice injustifié » aux intérêts des ayants-droit. Toute dérogation à la directive doit donc être strictement interprétée.
Elle rappelle ensuite que, si l’exception de copie privée interdit au titulaire de droits de se prévaloir de son droit exclusif d’autoriser ou d’interdire des reproductions à l’égard des personnes qui réalisent des copies privées des œuvres, ce régime ne doit pas être interprété comme imposant aux ayants-droit de tolérer des atteintes autres que celles explicitement prévues par l’exception. En d’autres termes, si le titulaire de droits ne peut s’opposer à ce que les utilisateurs licites de ses œuvres réalisent des copies privées de celles-ci, ses autres droits demeurent intacts.
En procédant à une analyse in concreto du service proposé par VCAST, la Cour conclut qu’il possède une « double fonctionnalité, consistant à assurer à la fois la reproduction et la mise à disposition » des programmes. Elle rejoint sur ce point les conclusions de son Avocat général, qui avait relevé que la reproduction des programmes proposée par VCAST n’est nullement conditionnée par l’accès préalable de l’utilisateur aux émissions de la télévision terrestre en Italie. Le service n’est en effet « pas limité aux personnes ayant réellement accès aux émissions de TV terrestre italienne, ni même aux personnes qui pourraient théoriquement y avoir accès ». La reproduction n’est pas nécessairement réalisée sur une œuvre sur laquelle l’utilisateur bénéficie d’un accès licite.
Par conséquent, la mise à disposition des œuvres par VCAST pourrait constituer une « communication au public » soumise à autorisation. D’après la Cour, le service réalise un « acte de communication » dès lors qu’il transmet des œuvres protégées. Ensuite, cette transmission est effectuée dans des conditions techniques spécifiques et différentes par rapport à celle effectuée par le diffuseur RTI. Dès lors, la communication sera nécessairement destinée à un « public nouveau », selon la jurisprudence constante de la Cour. Sans autorisation préalable, la fourniture du service VCAST porte donc atteinte aux droits de RTI, et, comme vu précédemment, VCAST ne peut se contenter d’invoquer l’exception de copie privée pour justifier la communication au public d’œuvres protégées.
En conclusion, un service tel que celui proposé par VCAST, composé d’une « double fonctionnalité » et qui n’obtiendrait pas l’autorisation pour la transmission initiale d’œuvres, « ne saurait relever » de l’exception de copie privée.
La CJUE valide indirectement l’application de la copie privée au nPVR
Si une lecture rapide du dispositif de la Cour de justice pourrait laisser penser qu’un service d’enregistrement numérique à distance serait contraint d’obtenir l’autorisation des titulaires de droit pour chaque copie réalisée par un utilisateur, tel n’est pas le cas. La solution aurait été différente si VCAST s’était contentée de fournir un service d’enregistrement sur des programmes de chaînes avec lesquelles elle avait trouvé un accord de diffusion.
Sur l’application du régime d’exception pour copie privée à l’enregistrement numérique à distance des programmes de télévision en tant que tel, la Cour de justice semble rejoindre les conclusions de son Avocat général. Celui-ci avait affirmé qu’il ne voyait « aucun obstacle de principe à ce que la compensation soit prélevée sur le prix de mise à disposition de capacités de stockage dans la nuage ». Il avait donc recommandé à la Cour d’éviter une interprétation « trop rigoureuse » de la directive 2001/29 concernant l’intervention du tiers dans l’acte de copie, n’estimant pas judicieux d’exclure d’emblée le nPVR du champ d’application de l’exception de copie privée.
Au 35ème considérant de sa décision, la Cour de justice se contente de rappeler sa jurisprudence Padawan (CJUE, 21 octobre 2010, C-467/08) : pour pouvoir se prévaloir de l’exception de copie privée, « il n’est pas nécessaire que les personnes physiques concernées possèdent des équipements, appareils ou supports de reproduction ». La Cour ajoute que les utilisateurs « peuvent également se voir fournir par un tiers un service de reproduction, qui constitue la prémisse factuelle nécessaire pour que ces personnes physiques puissent obtenir des copies privées ».