L'édito de Philippe Bailly

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Services d’intérêt général en France : dans l’attente des ultimes décisions de l’Arcom

La question visant à garantir une visibilité aux services assurant une qualité de service d’information dans chaque Etat membre, si elle dispose toujours d’une forte attention en Europe comme peuvent en témoigner certaines discussions récentes autour du règlement EMFA en cours de finalisation (Cf. article 19 sur le droit à la personnalisation de l’offre de médias audio et audiovisuels), trouve bien évidement un écho aussi très fort en France où le législateur français et l’Arcom se sont efforcés et s’efforcent encore de  mettre en œuvre, sur le territoire national, les dispositions juridiques européennes (notamment l’article 7 bis de la directive « Services de médias audiovisuels »).

La définition de services de médias d’intérêt général

En France, l’article 20-7 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 définit les services d’intérêt général comme :

  • ceux étant fournis par le secteur public de la communication audiovisuelle (i.e France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, l’INA, Arte, Public Sénat, LCP-Assemblée nationale, TV5-Monde), pour l’exercice de leurs missions de service public ;
  • d’autres services de communication audiovisuelle, le cas échéant, intégrés par l’Arcom de manière proportionnée, après consultation publique, et au regard de leur contribution au caractère pluraliste des courants de pensée et d’opinion et à la diversité culturelle,

Sur le deuxième point, l’Arcom a lancé en juin 2023 une consultation publique relative au périmètre des SIG visant, à recueillir les observations des parties intéressées. La consultation portait, d’une part, sur les services de télévision et les Smad et, d’autre part, sur les services de radio.

S’agissant des services de télévision et des services de communication audiovisuelle associés, la consultation de l’Arcom s’interrogeait sur la nature des services susceptibles d’être qualifiés de SIG : en vue d’établir cette liste, faut-il prendre comme base de référence les services de la TNT ? Faut-il y inclure les chaînes payantes de la TNT (Canal+, Paris Première, Planète+, Canal+ Cinéma, Canal+ Sport) ? Faut-il envisager un périmètre plus large ou plus restreint ? Faut-il inclure les services hertziens locaux (quarante-deux chaînes) ? Dans quelle mesure peut-on et faut-il étendre le périmètre des SIG à des services non linéaires, en particulier aux services de télévision de rattrapage ?

L’Arcom n’a pas publié à ce jour une synthèse des contributions, ni a fortiori la liste de SIG qu’elle a retenue.

La proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel et à la souveraineté audiovisuelle déposée par M. Laurent Lafon, président de la commission de la Culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, a été adoptée par ce dernier le 13 juin 2023 en première lecture. Son article 11 vise à retirer à l’Arcom son pouvoir d’appréciation sur le périmètre des SIG pour le faire correspondre à la liste des chaînes nationales gratuites de la TNT. Une telle solution aurait le mérite de la simplicité et tient compte du fait que la TNT, comme le notait l’Arcom dans sa consultation publique, « demeure une plateforme essentielle pour le public et pour l’économie du secteur ». Mais le texte n’a pas été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et ne semble pas devoir l’être à échéance prévisible.

Le contour retenu par le Sénat aurait l’avantage de la cohérence par rapport à l’article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986, il prescrit à l’Arcom, lorsqu’elle sélection des chaînes de la TNT « d’apprécier (notamment) l’intérêt de chaque projet pour le public au regard des impératifs prioritaires que sont la sauvegarde du pluralisme des courants d’expression socio-culturels ». Il apparait donc cohérent que des services de télévision bénéficiaires d’autorisation accordées par l’Arcom, notamment au regard d’un impératif prioritaire lié à la sauvegarde du pluralisme d’expression socio-culturels, puissent bénéficier de la labellisation SIG.

Reste à savoir à l’inverse si cette extension serait discutée sur le critère de la « proportionnalité » au sens de la directive SMA (son Considérant n° 25 > « Lorsque les États membres décident d’imposer des règles de visibilité appropriée, ils ne devraient imposer aux entreprises que des obligations proportionnées, en considération d’intérêts publics légitimes »), alors que la Commission européenne (lire par ailleurs dans cet Insight NPA), a notamment reproché au projet italien d’englober un trop grand nombre de services dans les SIG (dans le cas de l’Italie, il est vrai : l’ensemble des chaînes nationales publiques et privées, mais aussi les chaînes de la TNT locale).

S’agissant des services de radio, au regard de leur grand nombre (1.036 opérateurs) et de leur diversité (regroupés en 5 catégories + celles liées à l’information et sécurité routière), la consultation de l’Arcom porte sur des questions variées (caractéristiques de programmation à prendre en compte, poids à accorder à la contribution au pluralisme ou à la diversité culturelle, spécificité des services accomplissant une mission de communication sociale de proximité…) en vue d’affiner les critères de sélection finalement retenus.

Les mesures de visibilité appropriée retenues en France : Quelles applications concrètes et quand ?

Le II de l’article 20-7 de la loi du 30 septembre 1986 renvoie à un décret la détermination des seuils (nombre d’utilisateurs ou d’unités commercialisées sur le territoire français) à partir desquels les acteurs du secteur sont soumis aux obligations de visibilité appropriée.

Les articles 2 et 3 du décret n° 2022-1541 du 7 décembre 2022 ont retenu :

– pour les interfaces utilisateurs installées sur un téléviseur ou sur un équipement destiné à être connecté au téléviseur et pour les interfaces installées sur une enceinte connectée (smart TV, box internet, boîtiers TV connectés) : 150 000 interfaces commercialisées, mises à disposition dans le cadre d’un contrat d’abonnement ou louées lors de la dernière année civile sur le territoire français ;

– pour les interfaces mises à disposition par un distributeur de services et pour les interfaces mises à disposition au sein d’un magasin d’applications : 3 millions de visiteurs uniques par mois pour chaque interface utilisateur sur le territoire français, ce seuil étant calculé sur la base de la dernière année civile.

L’article 4 du décret confie à l’Arcom le soin de publier, au plus tard le 15 mars de chaque année, la liste des interfaces utilisateurs ayant dépassé les seuils fixés aux articles 2 et 3. Cette liste a été publiée le 14 mars 2023,

En application du deuxième alinéa du II de l’article 20-7 de la loi du 30 septembre 1986, l’Arcom a lancé, en mars 2023, une consultation publique visant à recueillir les observations des parties intéressées relatives à un projet de délibération relatif aux mesures de visibilité appropriée sur les interfaces utilisateurs.

Pour rappel, les articles 2 à 4 du projet de délibération prévoient que :

  • Les SIG doivent être aisément accessibles au sein d’une interface utilisateur. Les opérations nécessaires à un utilisateur pour accéder à un SIG au sein de cette interface ne doivent pas être plus contraignantes que celles nécessaires à l’accès à tout autre service de communication audiovisuelle de même nature accessible depuis cette même interface ;
  • La visibilité appropriée des SIG peut notamment être assurée en les regroupant en un même emplacement dans le cas des interfaces graphiques ;
  • Lorsqu’une télécommande propose un accès direct, hors numérotation, à un ou plusieurs services de communication audiovisuelle qui n’ont pas la qualité de SIG (par exemple un bouton dédié), ils doivent prévoir un accès direct de même nature aux SIG. Cette dernière proposition semble difficilement compatible avec l’avis circonstancié de la Commission européenne pris dans le cas italien (Lire par ailleurs dans cet Insight NPA). En tout état de cause, elle nécessiterait au moins une notification à la commission européenne.

La consultation publique sur les mesures de visibilité appropriée s’est achevée le 21 avril 2023. L’Arcom a reçu 21 contributions d’éditeurs de services, de distributeurs, de fabricants, d’organisations professionnelles, qui ont été publiées sous forme de synthèse le 12 juin 2023.

Une difficulté demeure sur le délai d’entrée en vigueur des mesures de visibilité appropriée. L’article 4 du décret du 7 décembre 2022 accorde aux opérateurs un délai de neuf mois à compter de la publication de la liste des interfaces assujetties aux obligations de visibilité pour respecter lesdites obligations. Compte tenu de la date de publication de la liste par l’Arcom, le 14 mars 2023, l’entrée en vigueur des obligations de visibilité appropriée est fixée au 14 décembre 2023. Cependant, les mesures de mises en avant des SIG n’ont pas encore été définies par l’Arcom, pas plus que le périmètre total des SIG (soumis à consultation depuis juin 2023). Dès lors, ce délai semble difficilement tenable.

Enfin, l’article 7 du projet de délibération de l’Arcom prévoit une mise en conformité, dans un délai de deux ans, de l’ensemble du parc d’équipements existant, « sous réserve d’incompatibilités technologiques majeures avérées et justifiées auprès de l’Arcom ».

On peut douter que cet article résiste, en l’état, à l’interprétation faite par la Commission européenne dans son avis circonstancié adressé à l’Italie.  L’Arcom semble donc prise entre deux feux : d’une part, il apparaît difficile d’imposer des mesures de visibilité appropriée si les équipements, au premier rang desquels les télécommandes, ne peuvent pas être actualisés rapidement ; d’autre part, le principe de proportionnalité doit être respecté par l’Autorité, notamment s’agissant de l’atteinte portée aux intérêts économiques des entreprises concernées.

Afin d’éviter que se répètent devant la Commission les débats qui ont conduit au retrait du projet italien, une approche ambitieuse de la visibilité des SIG dans les environnements OTT pourrait nécessiter que soit précisée une position commune valant pour l’ensemble de l’Union.

  • Que celle-ci résulte d’un changement de doctrine de la Commission (mettant en balance et arbitrant définitivement, sous réserve de l’interprétation ultérieure des juridictions de l’Union européenne) au profit de l’article 7bis de la directive SMA par rapport au principe du pays d’origine qui domine dans la directive e-commerce ;
  • soit d’une intervention des colégislateurs, via l’EMFA, indiquant que les mesures de visibilité appropriée mises en place par les Etats-membres pour les SIG s’imposent aux constructeurs et des distributeurs d’interface utilisateurs, nonobstant la directive « société de l’information » et son article 3§2.

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