Après le lancement de l’offre OTT Sling TV par l’opérateur satellite Dish en Janvier, c’est au tour de Sony de commercialiser son bouquet de chaînes linéaires en OTT aux États-Unis. Visiblement soucieux de faire évoluer la marque Playstation vers de nouveaux horizons, Sony a annoncé que son offre serait réservée dans un premier temps aux possesseurs de PS4 et PS3 dans 3 villes seulement. Playstation Vue, annoncé depuis 2013 permettra d’accéder à environ 85 chaînes des groupes CBS, Fox, NBC ou AMC, sans oublier plusieurs services de VOD. Dans le même temps, le Wall Street journal annonce le service live OTT d’Apple pour la fin 2015.
L’ensemble des acteurs de la télévision payante américaine, opérateurs, Networks et chaînes du câble, se préparent de longue date à la transformation du paysage audiovisuel. Après la multiplication des services de SVOD en OTT c’est autour des offres live OTT de voir le jour. Les annonces se multiplient avec d’abord l’annonce de Dish et son service Sling TV en février puis Sony qui lance son service en mars. La Pay TV aux États-Unis a perdu 125 000 abonnés en 2014 (sur les 13 principaux opérateurs) ce qui reste extrêmement faible sur une base de 100 millions de foyers souscripteurs et reflète avant tout un ralentissement structurel, un effet de plateau après deux décennies de très forte croissance. Néanmoins, une étude de Digital TV Research prévoit une baisse des revenus de 12% pour les opérateurs en Amérique du nord d’ici 2020[1] et une étude récente de Nielsen montre que, seulement 17,5 chaînes sont regardées sur une moyenne de 189 chaînes disponibles. Il y a donc de la place pour ces services OTT Bundle, qui pourraient idéalement proposer des offres à la carte, moins chères et sans engagement. Pourtant, pour le moment, les offres ressemblent plus à des répliques de celles du câble qu’à de nouveaux services révolutionnaires. Il est vrai que le choix de la FCC américaine d’accorder aux nouveaux distributeurs OTT le statut de MVPD (multichannel video programming distributor) leur impose les mêmes règles que celles qui s’appliquent aux distributeurs traditionnels. Il est donc encore compliqué de sortir du modèle classique des Bundle.
Des offres différentes pour les nouveaux entrants
Sling TV propose une offre de 20 à 50 chaînes pour un prix compris entre 20 et 45$
Élu meilleur produit « Home Theater » et meilleur logiciel lors du CES 2015, le service OTT de Dish Networks est proposé au prix de 20$ par mois pour le pack standard. Il faut ajouter 5$ pour souscrire à un des 5 packs supplémentaires : Sport, Kids, Lifestyle, Worldnews et Hollywood. Le pack standard propose une quinzaine de chaînes dont ESPN, CNN et AMC. Le service est disponible sur ROKU, Amazon, Xbox One, TV connectée et revendique déjà 100 000 abonnés[2] après un mois de commercialisation. Comme dans le cas de NOW TV lancé par Sky en Grande-Bretagne, le risque pour Dish est de cannibaliser son offre TV par satellite, beaucoup plus rentable. Il est donc nécessaire de trouver l’équilibre pour faire coexister les deux produits, Sling TV devant uniquement cibler un public qui a temporairement ou durablement renoncé à la Pay TV traditionnelle. Afin de permettre de nouveaux relais de croissance. L’offre de chaînes est donc volontairement restreinte avec plusieurs mini bouquets permettant d’élargir les cibles.
Une offre plus complète pour Playstation VUE avec 60 à 85 chaînes (50-70$)
Lancé dans un premier temps uniquement au cœur de trois grandes villes, New York, Chicago, Philadelphie, le service Playstation Vue est facturé entre 50 et 70 dollars par mois, en fonction de l’abonnement choisi. 60 chaînes sont disponibles avec l’offre d’accès à 49,99$ contre 85 chaînes pour l’offre « Elite » (69,99$). Si les groupes CBS, Discovery, Fox, NBCUniversal, Turner et Viacom ont répondu à l’appel de Sony, l’absence d’ABC (et donc des chaînes sportives ESPN et Disney) apparaît déjà comme une lacune importante. En plus du streaming en direct des chaînes des networks CBS, Fox, NBC et Viacom, Vue permet d’accéder aux services de rattrapage des réseaux Discovery et NBC Universal. Sony propose une interface claire et simplifiée, avec également la possibilité d’enregistrer ses programmes favoris dans le Cloud.
Malgré un parc installé de 35 millions de Playstation aux États-Unis, la cible du service Playstation Vue reste pour l’instant très limitée : une population jeune (18-34 ans) qui vit à Chicago, New-York ou Philadelphie et qui est prête à débourser de 50 à 80$ pour regarder la TV depuis une console de jeux. De plus, même si le service est clairement plus abouti que Sling TV tant sur l’offre (3 des 5 grands networks : CBS, NBC, FOX contre aucun) que sur l’expérience utilisateur (pause, multi-écrans, recommandation), il manque encore les chaînes les plus attractives du câble tant pour le sport (ESPN) que pour les séries TV et le cinéma (HBO, Showtime, Epix, Starz…). Sony indique qu’il poursuit ses discussions et envisage la possibilité de coupler ses offres avec des abonnements aux grands services de SVOD dont l’inévitable Netflix et la récente déclinaison de HBO, HBO Now.
Les limites d’un modèle qui réplique celui de la Pay TV
Selon la FCC, la facture moyenne pour les abonnés à la télévision par le câble aux États-Unis est de $66[3] en 2014 (sans internet ni téléphone). Ce qui correspond donc à l’offre « moyenne » de Sony VUE. Si l’on ajoute la connexion internet, la facture est donc aussi élevée, voire plus élevée qu’avec un câblo-opérateur. Les offres OTT TV Bundle ne font que reprendre le modèle des câblo-opérateurs et ne changent donc pas les règles du jeu. Même si les deux offres existantes sont très ciblées et ne cherchent pas à convertir en masse les abonnés au câble, il y a un vrai problème de fond qui empêche toute tentative d’offre « à la carte ». Le service OTT idéal, permettant de payer moins cher et de choisir uniquement les chaînes souhaitées reste une chimère malgré une attente réelle du côté des consommateurs. Les studios et Networks ne sont pas prêts à accorder aux nouveaux acteurs OTT ce qu’ils refusent aux opérateurs traditionnels. Le système des « Bundles » reste un pilier de l’économie actuelle permettant de financer les chaînes les plus faibles grâce au succès des chaînes premium.
L’équation est donc complexe à résoudre pour Sony ou Dish. Si le prix dépasse les 30$ mensuels, les acteurs OTT ne seront pas en mesure de lancer un produit capable d’attirer le public qui délaisse aujourd’hui les offres traditionnelles de TV payante en raison de leur prix. Mais pour proposer une offre abordable, il faut renoncer à la reprise des chaînes les plus qualitatives du câble dont le coût de distribution est exorbitant pour un nouvel entrant et donc s’exposer à la concurrence des offres OTT délinéarisées moins chères et plus souples, incarnées par la SVoD ou les services auto-distribués des principales chaînes payantes.
Les incertitudes sont donc nombreuses autour du succès possible de ces bouquets de TV payante distribués sur internet par de nouveaux acteurs. Trois facteurs sont appelés à jouer un rôle décisif :
- L’arrivée d’Apple sur ce segment de marché, annoncée à de multiples reprises depuis 5 ans et qui pourrait enfin se concrétiser cette année à en croire le WSJ qui parle même de 25 chaînes pour un prix de 30 à 40$. Le savoir-faire inégalé de Cupertino dans l’expérience utilisateur et le marketing, de même que des liens étroits avec l’industrie des contenus et en particulier avec le groupe Disney peuvent être en mesure de modifier radicalement la donne.
- La capacité des opérateurs à défendre les modes d’accès traditionnels en réussissant à convaincre les éditeurs au moment de la renégociation des droits qu’ils peuvent créer de la valeur en construisant des offres plus souples avec de véritables bouquets « à la carte ».
- L’auto-distribution sur internet des chaînes de télévision gratuites et payantes (lancement des services OTT de HBO, CBS, Nickelodeon ces dernières semaines) est un phénomène profond mais qui risque de rapidement complexifier le paysage audiovisuel. La situation va donc paradoxalement renforcer les besoins du public pour des offres agrégées sur lesquels les opérateurs traditionnels sont légitimes à condition d’ouvrir leur box à un maximum de contenus OTT, à l’image de Comcast avec sa nouvelle plate-forme X1.
[1] http://www.digitaltveurope.net/342262/north-american-pay-tv-revenues-to-drop-by-12/
[2] http://www.techhive.com/article/2893730/sling-tv-notches-100-000-users-in-a-month.html
[3] http://www.fcc.gov/document/report-average-rates-cable-programming-service-and-equipment-3