Certains des principaux studios hollywoodiens envisagent de rendre leurs œuvres disponibles en VOD deux semaines seulement après leur sortie en salles. Si l’idée n’est pas nouvelle outre-Atlantique, elle ne cesse de progresser en raison des mauvaises performances répétées des ventes de supports physiques et de positions plus souples chez les exploitants de salles.
Chronologie des médias : multiplication des expérimentations
L’essor de la vidéo en ligne, qu’elle soit gratuite ou payante, légale ou illégale, à l’acte ou par abonnement, bouleverse profondément la chronologie d’exploitation des œuvres cinématographiques. La tendance mondiale est au raccourcissement de la période d’exclusivité des différentes fenêtres et à l’expérimentation de nouvelles formules : inversion de l’ordre des fenêtres, simultanéité de diffusion (Day & Date), impasse sur la salle (e-Cinema)… Face aux reculs répétés des ventes de supports physiques (DVD et Blu-ray), l’année 2016 aura été marquée par un nombre croissant d’initiatives visant à faire bouger les lignes et à redynamiser un secteur du Home Entertainment (physique + dématérialisé) en stagnation.
Face à la mutation du marché, l’industrie multiplie les expérimentations pour apporter au public de nouveaux moyens d’accès aux œuvres, en adéquation avec l’évolution de ses habitudes de consommation. La fenêtre spécifique réservée à l’achat dématérialisé (EST), ardemment soutenue par les studios américains, a ainsi connu un net raccourcissement en l’espace de quatre ans, passant de 3 mois et 28 jours après la salle début 2012 à 2 mois et 26 jours en moyenne fin 2016. D’autres initiatives, portant principalement sur une diffusion simultanée entre la salle et la vidéo à la demande, se sont quant à elles confrontées à la réticence des exploitants de cinémas. Le studio Paramount, qui avait fait le pari de raccourcir la période d’exclusivité de la salle à 17 jours[1] pour arriver plus rapidement sur les plates-formes légales de streaming vidéo en a ainsi fait les frais et s’est vu boycotté par les principaux réseaux du pays. Netflix, qui souhaitait diffuser ses productions « maison » en simultané sur grand écran et sur son service de streaming[2], a lui aussi essuyé le refus de l’écrasante majorité des salles américaines. Le service de SVOD a alors été contraint de se tourner vers des réseaux de moindre envergure, notamment Ipic, une chaîne de cinémas de luxe qui compte une quinzaine de salles outre-Atlantique. Quant au projet de VOD premium en Day & Date de Sean Parker, The Screening Room[3], dont la promesse est de rendre accessible un film en VOD depuis son foyer le jour de sa sortie en salle, il semble s’enliser dans d’interminables négociations avec studios et exploitants salles malgré la mise en avant d’un système rémunérateur pour l’ensemble des parties. Surtout, au regard au potentiel économique du marché convoité, il semblerait que les majors hollywoodiennes ne soient pas décidées à partager le futur gâteau avec un tiers, qui souhaiterait disposer de droits exclusifs qui plus est. Une exigence particulièrement dure à satisfaire dans la mesure où les studios appartiennent le plus souvent à de grands groupes de médias qui détiennent leurs propres services de distribution de contenus (ex : Comcast, maison-mère des studios Universal, est également propriétaire de Fandango Now, anciennement M-GO et de Comcast Xfinity).
Des studios se positionnent en faveur d’une fenêtre VOD deux semaines seulement après la sortie salles
La possibilité de voir des films distribués en vidéo à la demande, tout en étant exploités sur grand écran, est revenue avec insistance dans l’actualité ces dernières semaines. Plusieurs studios hollywoodiens se sont en effet positionnés pour une diffusion en simultané sur les deux fenêtres. Warner Bros. et Universal Pictures auraient ainsi engagé des négociations avec les exploitants salles pour un raccourcissement de la période d’exclusivité sur grand écran. A la différence du projet de Sean Parker, il ne s’agirait pas de Day & Date mais d’une mise à disposition des œuvres en VOD deux semaines après leur sortie en salles. Une différence de taille, tout comme les conditions de « revenue share » entre studios et exploitants salles, plus à même de satisfaire les deux parties en supprimant l’intermédiaire que représenterait The Screening Room. Un partage plus favorable aux exploitants de nature à maintenir un climat de confiance avec ces derniers, dont le rôle demeure essentiel pour les studios, tant en termes de recettes que de valorisation des œuvres. Si peu d’informations ont fuité pour le moment, il est fait écho d’un tarif à la location oscillant entre 25 et 50 dollars par film. De nombreuses questions restent toutefois en suspens, tant sur le tarif définitif (seuil d’acceptabilité pour le client ? minimum requis pour rémunérer les exploitants et compenser l’éventuel report de fréquentation des salles vers la VOD ? prix plancher pour ne pas attirer une audience de masse et cannibaliser la salle ? …) que sur la méthodologie appliquée pour rémunérer les réseaux de cinémas (en fonction du nombre d’écrans ? du chiffre d’affaires ? de la fréquentation en salles sur les deux premières d’exploitation exclusive de l’œuvre ? sur la fréquentation enregistrée en simultané de l’exploitation en VOD ? …).
Comme pour The Screening Room, le principal argument des studios réside dans la volonté d’élargir l’audience à un public qui ne fréquente pas ou plus les salles obscures : parents avec enfant(s) en bas âge, familles nombreuses découragées par le coût global de la sortie (entrée, parking, snack…), personnes âgées, zones rurales souffrant d’une quasi absence de salles, etc. Une cible qui n’a donc pas vocation à cannibaliser l’activité des exploitants de cinémas qui conserveraient leur cœur d’audience. Le projet est présenté en outre comme un rempart efficace contre le piratage qui, selon les studios, sévit quelques semaines après la sortie en salles des films. L’objectif est de limiter cette pratique en rendant les œuvres plus rapidement accessibles sur une plate-forme de streaming légale. Il n’en demeure pas moins difficile d’imaginer un système anti-piratage parfaitement sécurisé et infaillible sur la durée. La mise en ligne des œuvres deux semaines seulement après leur sortie sur grand écran pourrait alors avoir l’effet inverse de celui escompté et favoriser la consommation illégale.
Du côté des acteurs de l’industrie, trois majors ont d’ores et déjà pris position en faveur d’un avancement de la fenêtre VOD. Kevin Tsujihara, CEO de Time Warner, a confirmé que « Warner travaille de manière constructive avec les exploitants pour essayer de créer une nouvelle expérience VOD collée à la salle », ajoutant qu’il est devenu impératif de pouvoir « offrir aux consommateurs plus de choix plus tôt ». Universal Pictures a également reconnu l’existence de discussions avec les réseaux de salles pour une mise à disposition plus rapide des œuvres en VOD. James Murdoch, le patron de 21st Century Fox, s’est lui aussi prononcé en faveur d’une évolution du modèle actuel, insistant sur le fait que « les holdbacks imposés par les exploitants posaient problème pour une partie du public ». AMC, l’une des plus grandes chaînes du pays, a confié être entrée en négociations avec plusieurs studios au sujet de l’avancement de la fenêtre VOD.
S’il sera difficile pour les majors hollywoodiennes de faire consensus auprès de l’ensemble des grands réseaux de cinémas américains, la création d’une fenêtre VOD premium devrait également questionner les exploitations situées en aval de la salle, que ce soit en termes de délai (glissement des fenêtres à prévoir ?) ou de valorisation. Le succès d’une œuvre au Box-Office définit en effet la valeur de ses droits d’exploitation pour les fenêtres successives (télévision payante, vidéo à la demande par abonnement, etc.). Toute action susceptible d’impacter la performance des films en salles pourrait alors avoir de lourdes conséquences pour l’ensemble de l’industrie.
[1] Voir Flash #777 : « Paramount teste un nouveau modèle de distribution pour ses productions »
[2] Voir Flash #811 : « Les films de Netflix sortiront également sur grand écran aux États-Unis »
[3] Voir Flash #790 : « The Screening Room, un nouveau modèle de distribution qui divise Hollywood »