« C’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses », aimait à dire Jacques Chirac. La foire n’est pas finie. Néanmoins, la communication du projet de chronologie des médias élaborée par le CNC, la mise en consultation publique du projet de décret TNT par la DGMIC et la parution le 23 juin du décret SMAD font mieux qu’esquisser le nouveau paysage réglementaire. Et permettent de commencer à en rechercher gagnants et perdants.
Nonobstant la tribune en forme de cri d’alarme signée par 79 producteurs et distributeurs indépendants dans le Journal du Dimanche du 20 juin (donc en amont de la publication du projet de décret TNT), ces derniers apparaissent comme les principaux gagnants de cette séquence.
L’entrée en vigueur du décret SMAD leur assure, dès cette année, une forte accélération des financements en provenance des services de SVoD.
S’agissant de la part de leur contribution consacrée à la production indépendante, les plateformes pourront bénéficier de couloirs d’exploitation très sensiblement allongés… mais sous réserve d’être mieux-disantes sur les taux qui y seront consacrés dans les accords qu’elles concluront avec les organisations professionnelles, et en renonçant au mandat de distribution et aux droits secondaires.
Dans le même temps, le projet de décret soumis à consultation limite les évolutions initialement envisagées par le ministère de la Culture et qui auraient pu bénéficier aux chaînes de la TNT (sur le seuil de financement permettant à l’éditeur de prendre des parts de coproduction sur un projet indépendant, et surtout sur les règles d’attribution des mandats, qui préservent le droit de préemption donc bénéficie aujourd’hui le producteur). Il revient même sur certains de leurs « acquis » (le 2e mandat pour les programmes financés à plus de 85%).
Le bilan institutionnel des services de SVoD s’inscrit également dans le vert. Et plus encore si on le rapproche des orientations qu’avait exprimé l’alors ministre de la Culture Franck Riester en janvier 2020.
Si le taux de contribution à la production de 25% alors évoqué figure bien dans le décret SMAD publié le 23 juin, le projet de chronologie des médias du CNC devrait le rendre inopérant, au profit d’un « capage » à 20%. Aussi longtemps que la première fenêtre cinéma des plateformes restera calée sur 12 mois, en tout cas.
Comme indiqué précédemment, ce décret élargit très substantiellement les durées d’exploitation ouvertes sur les plateformes pour les productions indépendantes – audiovisuelles en tout cas. Il répond ainsi à leur priorité stratégique (pouvoir conserver longtemps les programmes), plutôt que de leur permettre de sécuriser des droits secondaires qui ne correspondent pas à leur schéma d’exploitation.
A défaut d’être entendues sur d’autres de leurs observations – la prise en compte des productions financées par leurs filiales européennes par exemple – les plateformes conservent enfin la possibilité d’introduire des recours contre le décret SMAD, en mettant en avant les observations qu’elles avaient formulées à la Commission dans le cadre de la procédure de notification, et plus généralement l’avis de cette dernière.
Le bilan est plus balancé s’agissant des éditeurs de la télévision gratuite, tels que TF1, M6 ou France Télévisions.
Côté chronologie des médias, ils sont bien préservés par la proposition récente du CNC (en termes de délai d’ouverture de leur fenêtre et d’étanchéité de cette dernière).
Mais, côté décret TNT, les versions successives du projet ont sérieusement rabotées les évolutions qui semblaient acquises, sur l’attribution des mandats notamment. Reste quand même le passage de la part dépendante de 25% à 34%.
Cette dernière ne suffira pas pour équilibrer les balances côté Canal+, si l’on prend en compte la réduction drastique de la première fenêtre, côté chronologie des médias, et l’abaissement de 20 points (de 50% à 30% de son abattement d’assiette tenant compte de son statut de service autodistribué).
Les pourcentages de contribution ayant été laissé en blanc dans le projet de décret TNT soumis à contribution, le groupe ne peut, aujourd’hui, calculer l’impact du nouveau cadre réglementaire sur son économie.
S’agissant d’un échafaudage encore en construction – deux des trois textes n’existent encore qu’au stade de projet – il faudra attendre que l’édifice soit solidifié pour considérer que la « foire » est finie, et pouvoir préciser le diagnostic.
Il n’empêche. A ce stade, on peine à y voir une volonté de conforter les champions nationaux. Côté éditeurs en tout cas.