Le rythme des annonces s’accélère encore. En l’espace d’une semaine, on a appris qu’Apple TV+ serait lancé le 1er novembre dans plus de 100 pays, au prix de 4,99€ par jour, Canal+ et Netflix ont scellé leur accord de distribution, l’équipe de SALTO a été mise en place, en vue d’un démarrage au 1er trimestre 2020… Et NBC Universal a dévoilé ce mardi le nom de sa propre plateforme – Peacock (le paon, qui illustre le logo de NBC) – et l’horizon de son arrivée sur le marché – avril 2020. La filiale de Comcast (et société sœur de Sky) a également confirmé l’ambition du projet : un catalogue de plus de 15 000 heures de programmes et, comme cerise sur le gâteau, de l’info, et du divertissement et du sport (live n’en doutons pas).
Parmi les différentes déclinaisons du terme VoD, NBC Universal s’apprête donc à donner un formidable coup d’accélérateur à l’AVoD (Ad-supported Video On Demand) : le service sera gratuit, pour les abonnés Comcast et Sky, au moins. Ce lancement a toutes les chances d’ébranler encore un peu plus les équilibres qui ont prévalu jusqu’ici dans l’organisation du paysage audiovisuel : la monétisation par l’audience pour les chaînes en clair et leurs services associés (replay) ; la création de valeur par l’abonnement pour les chaînes payantes et les services de SVoD.
Il remet en cause un autre partage des territoires, plus subtil celui-là, entre contenus premium (principalement proposés par TF1, France Télévisions, M6 et les autres acteurs de la TNT) et vidéo en ligne de masse (disponible sur YouTube, Facebook, Instagram…). Les premiers mettaient en avant la valeur du contexte éditorial et la brand safety garantie aux annonceurs pour pratiquer des coûts de contact élevés et valoriser au mieux une audience qui reste limitée (en décembre 2018, France Télévisions, MyTF1, BFM TV et 6Play cumulaient « seulement » 87 millions de vidéos vues sur ordinateur, selon Médiamétrie) ; les plateformes jouaient de leur puissance (1,1 milliard de vidéos vues le même mois sur YouTube, et 606 millions sur Facebook), sans manquer de médiatiser leurs contenus les plus alléchants (YouTubeurs stars, productions exclusives réalisées par BFM, Le Monde ou Brut pour Facebook), pour valoriser par effet de halo l’ensemble de leur inventaire.
En combinant puissance et programmes premiums, l’arrivée de Peacock est d’autant plus inquiétante, pour les uns comme pour les autres, que d’autres initiatives ambitieuses ont déjà vu le jour (IMDB TV, le service de cinéma en ligne gratuit d’Amazon, le repositionnement de MyTF1), ou sont sur la rampe de décollage (Okoo, la plateforme jeunesse de France Télévisions).
En se multipliant, les services d’AVoD risquent de refermer les portes qui s’étaient entrouvertes pour des collaborations entre acteurs historiques et plateformes : si TF1 et Netflix ont pu s’entendre pour coproduire Le bazar de la charité, c’est parce que leurs modèles respectifs évitent une concurrence frontale (au premier la publicité ; au second l’abonnement) et permettent d’organiser une chronologie des médias mutuellement bénéfique. On imagine mal, demain, que TF1 signe des accords de même nature avec NBC Universal, et que les deux partenaires se fassent ensuite concurrence pour mettre au service des marques le « temps de cerveau disponible » que le programme aurait généré.
L’émergence d’un nouveau champ de bataille, du côté des contenus gratuits cette fois, rendra d’autant plus urgente l’adaptation de la mesure d’audience. Les initiatives annoncées ce mardi par Médiamétrie, dans Le Figaro, n’en sont que plus à saluer : l’approche holistique qu’elles traduisent – mesure de l’audience TV réalisée hors du foyer, et agrégation de la mesure d’audience TV 4 écrans (TV, smartphone, tablette, ordinateur) – garantira une compétition loyale entre acteurs historiques et nouveaux entrants et permettra aux annonceurs d’effectuer des arbitrages pleinement éclairés.