L'édito de Philippe Bailly

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De Kaizen à Zorro ou au Bazar de la Charité… Pourquoi comparaison n’est pas raison

Ce mercredi 18 septembre au soir, soit moins de cinq jours après sa mise en ligne, le compteur de YouTube affichait plus de 24 millions de vues pour Kaizen. Et le 8 octobre, ce dernier sera diffusé en deuxième partie de soirée par TF1.

Aux sifflements admiratifs du tout début de semaine n’a pas tardé à succéder la polémique, concernant les conditions de sortie du documentaire d’Inoxtag, qui aurait – sensiblement ? – dépassé le plafond des 500 séances autorisées dans le cadre d’un « visa d’exploitation pour séances exceptionnelles », et se serait ainsi affranchi de la chronologie des médias applicable aux films de cinéma.

Mais en se concentrant sur le rebond annoncé du récit de la montée de l’Everest, de la plateforme de vidéo d’Alphabet à la grille de TF1, on pourrait être tenté de le rapprocher de la double exposition organisée, par Netflix et TF1, pour la série Marseille ou pour Le Bazar de la Charité, de l’association conclue entre Prime Video et France Télévisions autour de Cœurs noirs ou encore de celle qui verra bientôt Zorro passer de Paramount+ aux antennes du groupe public.

Parallèle tentant mais inexact, à deux titres au moins.

A la différence de YouTube, l’activité des acteurs de la SVoD est doublement encadrée par la Directive SMA.

Pour les streamers, le texte est d’abord synonyme de « quotas d’exposition », autrement dit d’une part d’au moins 30 % d’œuvres européennes dans les catalogues qu’ils mettent en ligne. Et le pourcentage, s’il reste significativement inférieur aux dispositions qui s’appliquent aux chaînes françaises (60 % d’œuvres européennes, dont au moins deux tiers – soit 40 % du total – d’œuvres d’expression originale française), est aujourd’hui mieux que respecté par les acteurs de la SVoD : 37 % des 7 195 titres aujourd’hui disponibles sur Netflix ont été produits en Europe, 39 % des 6 170 programmes proposés par Prime Video…

Plus important encore, ces derniers sont soumis – comme les chaînes françaises – à des investissements dans la production que YouTube (comme TikTok et les principaux réseaux sociaux) ne connaissent pas. En France, ils doivent y consacrer 20 % de leur chiffre d’affaires (16 % en Italie, 5 % en Espagne, 9,5 % en Belgique francophone…). Comme l’analyse cette semaine l’Insight NPA, les dépenses des plateformes mondiales dans les œuvres originales européennes ont ainsi totalisé 5,7 Mds€ en 2023, soit presque trois fois plus qu’en 2022.

Mais au-delà même des montants, cela signifie que les acteurs de la SVoD sont soumis comme les chaînes de télévision – comme d’ailleurs les éditeurs de livres ou les producteurs de musique – à la notion de risque, alors que YouTube se borne à partager, a posteriori, les revenus de publicité générés par des programmes sur lesquels il ne s’est pas engagé. Autrement dit, que la plateforme vient au secours du succès… quand il est là.

C’est peut-être là la ligne de fracture principale qui divise aujourd’hui les acteurs globaux.

On comprend mieux que Rodolphe Belmer, David Larramendy ou Delphine Ernotte se situent à propos des acteurs de la SVoD sur le terrain de la coopétition, alors que le patron de TF1 évoquait YouTube lors du débat du Festival de La Rochelle comme le « grand prédateur en train d’envahir les téléviseurs avec du divertissement gratuit ».