On ne pouvait rêver meilleure transition entre la saison qui s’achève et celle qui démarrera à la rentrée : 2018/2019 a vu la forte poussée de la consommation de SVoD, ainsi qu’en atteste le Bilan de Saison publié ce mercredi 10 juillet par NPA Conseil (+55% de SVoDistes par jour entre septembre 2018 et mai 2019) ; l’annonce de Warner Media que la plateforme qu’il s’apprête à lancer serait brandée HBO Max invite à se projeter vers les lancements multiples qui vont scander 2019/2020 : AppleTV+ en septembre, l’offre jeunesse gratuite de France Télévisions, Okoo, en décembre, Salto et Disney+ en toute fin d’année 2019, HBO Max début 2020… sans compter avec IMDb TV (service de cinéma gratuit du groupe Amazon), DPlay (plateforme de documentaires opérée par Discovery) ou encore avec le service – gratuit lui aussi – auquel travaille NBC-Universal.
Les risques liés à cette avalanche ont été déjà soulignés. Il sera d’abord plus difficile pour le consommateur de retrouver les programmes qu’il souhaite visionner, après les mouvements massifs de catalogues qui vont s’opérer, au détriment de Netflix et Amazon auxquels les studios vont retirer les franchises qu’ils leur avaient concédé. Friends (17e titre le plus consommé au 2e trimestre 2019 en France, d’après le Baromètre SVoD NPA Conseil / Harris Interactive), Pretty Little Liars (18e), toutes deux propriétés de Warner, ou encore The Office (NBC Universal) en constituent des illustrations emblématiques. Mais l’enjeu est plus massif : en France, les productions NBC-Universal, Viacom, Sony, Warner Media, Disney Fox représentent aujourd’hui près de 20% des catalogues proposés par Amazon et Netflix, en France… et environ la moitié de leur consommation respective (47,2% pour Netflix, 50,3% pour Amazon).
Pour l’abonné, 2019/2020 verra donc la fin du one stop shopping et la nécessité de multiplier les abonnements pour conserver une offre équivalente… avec le risque qu’il refuse d’entrer dans cette spirale inflationniste. Les américains, qui font déjà face il est vrai à plus de 300 services OTT, ont trouvé un nom pour cette dérobade : la subscription fatigue.
Comme un train peut en cacher un autre, cette fragmentation de l’offre devrait conduire à l’ouverture d’un 2e front : celui de la « réagrégation » ou, en d’autres termes, de la composition d’offres permettant de naviguer facilement d’un service OTT à l’autre (moteur de recherche et de recommandation unifiés…) en payant une facture unique, de préférence assortie d’une remise par rapport à l’addition des tarifs individuels. En d’autres termes, de réinventer les bouquets de télévision payante. Mais sur ce terrain également, le numérique aboutira à intensifier la concurrence avec, d’un côté les distributeurs historiques (les FAI et Canal+ en France), et de l’autre les « agrégateurs OTT » remplissant une fonction proche mais sans opérer de réseau et/ou fournir de box au client final. C’est déjà le positionnement de Molotov et, plus modestement, de Bis TV online. S’y ajouteront demain – au moins – Amazon avec ses Amazon Channels et Apple (qui propose déjà, en France, de s’abonner à Starzplay).
Cette recomposition ne sera sans doute pas immédiate.
Dans l’intervalle, l’abonné perdu – au sens propre comme au figuré – pourra se tourner vers les offres légales gratuites, mais certains pourraient aussi prendre prétexte de cette complexité accrue pour se laisser dériver vers les sites de streaming pirates.
Dans le premier cas, il bénéficiera de la montée en puissance de l’AVoD – vidéo à la demande gratuite financée par la publicité, d’où le A de Advertisement – qui s’alimente à une double source et semble bien partie pour être l’un des buzzwords de la saison 2019/2020 : l’élargissement des catalogues proposés par les plateformes des chaînes gratuites au-delà du simple replay de programmes précédemment diffusés, d’une part – le nouveau format de MyTF1 en est une bonne illustration ; le lancement de services spécifiques, décorrélés d’une présence précédente à l’antenne, à l’exemple d’Okoo, de IMDbTV ou du projet de NBC Universal, de l’autre.
Mais le précédent du sport ne sera pas pour rassurer ceux qui craignent que la fragmentation de l’offre s’accompagne d’une montée du piratage : l’éclatement de la Ligue 1 et des coupes européennes entre beIN Sports et Canal+, d’une part, RMC Sport, de l’autre, semble avoir fortement stimulé la consultation des sites de streaming illégaux. On imagine d’autant plus mal que l’éclatement des catalogues de films et de séries entre des services multiples n’ait pas le même impact que la progression continue des abonnements au très haut débit (9,5 M à fin mars, +27% en un an) améliore aussi la « qualité de service » des sites pirates.
Et si le récent renvoi en jugement des animateurs de la plateforme pirate beinsport-streaming.com a été salué par les ayants droits, l’Hadopi devra attendre le vote de la réforme audiovisuelle pour bénéficier des moyens renforcés réclamés en octobre dernier par le rapport d’Aurore Bergé et sur lesquels le gouvernement s’est engagé.
Le Premier Ministre a exprimé son « souhait » que le nouveau cadre légal soit définitivement adopté et entre en vigueur avant la fin 2020 mais cet agenda est jugé hautement optimiste, dans la sphère publique autant que par les acteurs privés. Et le train réglementaire n’avance pas plus vite que le tortillard législatif. Assouplissement du cadre applicable à la publicité, allègements divers (jours interdits de cinéma…), évolution éventuelle des obligations de financement de la création et des rapports producteurs diffuseurs, régulation des plateformes vidéos globales, gouvernance de l’audiovisuel public… passeront l’été en l’état. Espérons que le sur place ne soit plus de mise à l’été 2020.