« Inquiets » ou au moins « préoccupés ». Les deux adjectifs reviennent en boucle dans les articles consacrés aux – très nombreux – sondages relatifs à la protection des données personnelles des Français dans l’univers numérique[1] ; pour autant, on peine à dégager une vision claire quand on compile les résultats de ces différentes études et qu’on les compare aux comportements observés par ailleurs :
- Le sujet est présenté comme étant d’une acuité croissante, mais les volumes de recherches effectués sur Google autour de l’expression « Données personnelles » ont diminué de 19% entre 2018 (année de l’entrée en vigueur du RGPD, qui a suscité une forte couverture médiatique) et 2019. La comparaison sur le seul premier semestre indique, pour 2020, des résultats presqu’identiques à ceux de 2019, et très loin du pic de 2018.
- Les Français se plaignent d’une information insuffisante sur les moyens de protection utilisables, mais 41% seulement disent avoir « lu la politique de confidentialité des sites Internet sur lesquels vous vous rendez » (Opinion Way), et moins d’un sur cinq (17%) se dit prêt au final à payer plus cher ses achats auprès d’une entreprise qui s’engage à protéger la confidentialité de ses données personnelles (étude OpenText) ; au demeurant, l’utilisation des d’adblockers (estimée à 30% environ à fin 2019) tend à montrer que les Français, quand ils le jugent nécessaires, savent trouver et maîtriser les moyens de leur propre protection.
- La méfiance à l’égard des GAFAM est souvent mentionnée dans ces sondages, mais le niveau d’utilisation des réseaux sociaux continue à progresser, et 20% seulement des Français disent avoir « réduit leur temps passé sur Internet à la suite des récents scandales liés à l’utilisation de données personnelles» …
Des résultats à relativiser… en fonction de leurs commanditaires
Examiner le nom des initiateurs et/ou commanditaires de ces études suggère un premier éclairage sur ces incohérences : entre régulateurs et « offreurs » de solutions technologiques, tous ou à peu près ont un lien professionnel direct avec le sujet, et un intérêt non moins important avec la façon dont il est présenté.
L’étude BVA (mai 2018) a été réalisée pour le compte de la PQR, celle d’Opinion Way (juillet 2019) pour celui de la « plate-forme de marketing client local qui aide les commerçants à recueillir et valoriser les données de leurs clients » Dolmen Technologies, Norton Lifelock (étude Harris Poll d’avril 2019) est une filiale de la société de cybersécurité Symantec, SAP (étude Odoxa de mai 2019), est l’un des leaders mondiaux des solutions de gestion en entreprise, OpenText (étude auto réalisée, septembre 2020) propose aux entreprise des solutions leur permettant de « gérer leurs informations sur sites ou dans le cloud »…
Et même le régulateur, la CNIL (IFOP, 2018), est prise dans une sorte de « syndrome de l’ONG » : créée pour lutter contre une difficulté… mais qui verrait sa raison d’être disparaître avec la résolution de cette dernière.
Difficile d’imaginer que la formulation des questions soumises aux interviewés ne s’en trouve pas quelque peu influencée…
Agissant, donc, pour le compte de la CNIL, l’IFOP conclut que 66% des Français sont « plus sensibles à la question de la protection de (leurs) données personnelles qu’au cours de ces dernières années »… après leur avoir indiqué : « Nous allons parler de la protection des données personnelles, c’est-à-dire des données permettant d’identifier directement une personne (à partir par exemple de ses nom, prénom, numéro de téléphone, adresse, numéro de téléphone, données bancaires, etc.) ou indirectement (à partir des coordonnées GPS de ses déplacements, etc.) ». Difficile, dans ces conditions de se déclarer « moins sensible » (ils étaient 5% parmi les répondants) !
De même, s’agissant des GAFAM, « Moins d’un quart des Français (77%) se disent inquiets concernant la manière dont (ils) utilisent leurs données personnelles », dans l’étude réalisée par BVA pour… la PQR, et Opinion Way (pour Dolmen Technologies) demande aux interviewés si leurs données personnelles « sont convoitées par les géants d’Internet (Facebook, Amazon, Google…) » (sans question miroir concernant les banques, les assureurs…). Dolmen Technologies (à travers la fourniture de solutions techniques) et la PQR (via la vente d’espace) sont directement concurrents de Facebook ou Google…
La neutralité, condition indispensable de la pertinence et de la capacité à anticiper
Considérer avec prudence les résultats d’études trop « volontaristes » ne revient pas à nier l’importance du sujet. Cette dernière ne fera même que grandir avec la multiplication des possibilités de collecte et des points d’application (santé, banque, assurance…).
Cela revient simplement à espérer qu’un « thermomètre » à la neutralité garantie aide à mieux éclairer décisions politiques, stratégies industrielles et choix individuels.
L’application Tous Anti Covid étant maintenant stabilisée, il y aurait là un « terrain de jeu » stimulant pour Cédric Ô.
Trump vs Biden : la mobilisation de Facebook et de Twitter mérite d’être saluée
Le sujet a refleuri dès ce mercredi 4 novembre au matin, sans même savoir encore qui de Trump ou de Biden l’avait emporté lors des élections américaines : comment expliquer l’écart entre les prévisions des sondages – une très confortable avance pour le démocrate – et les résultats, au final extrêmement serrés – de l’élection américaine ? Le politologue l’expliquera par la complexité du système de vote à deux niveaux, et les conséquences de la règle du « winner takes all » qui prévaut dans la plupart des Etats. Le patron d’institut essaiera d’oublier que la même complexité a été mise en avant – en pointant la règle du scrutin à un tour – pour expliquer la même incapacité, au Royaume-Uni cette fois. Le téléspectateur français se réjouira que la capacité à afficher à 20 h 01 le visage du président effectivement élu n’ait jamais été prise à défaut, et constitue, avec nos 400 fromages, l’une des fiertés nationales ! Au final, il y aura certainement moins de commentaires, en 2020, pour saluer la vigilance des responsables des grands réseaux sociaux – Facebook et Twitter principalement – qu’il n’y en avait eu il y a 4 ans à propos de Cambridge Analytica, et pour se demander si les résultats du scrutin américain en avaient été faussés. Suppression de comptes et de groupes liés à la mouvance complotiste pro-Trump QAnon, contrôle étroit des campagnes de publicité politique achetées par les deux camps ou encore, dans la nuit du 3 au 4 novembre, et au moment où la pression du staff des candidats était certainement la plus forte, « signalement » de messages de Donald Trump (accusant notamment les Démocrates de vouloir « voler » la victoire…). Contribuer à ce que le train démocratique arrive à l’heure, et sans avoir été détourné, mérite d’être signalé. Et l’électeur français pourra d’autant plus s’en réjouir que nous sommes aujourd’hui à moins de vingt mois de l’échéance 2022… |
[1] A la question « sondage données personnelles », la première page de réponses de Google renvoie, à elle seule, à des études réalisées au cours des vingt quatre derniers mois par l’IFOP, Opinion Way, Odoxa, BVA, OpenText ou encore Harris Poll