L'édito de Philippe Bailly

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Haine en ligne : avancer sur la labellisation sans attendre la montée en puissance du DSA

La polémique (limitée) qui a entouré les courriers que Thierry Breton a envoyés le 10 octobre à X, Meta et TikTok, a quelque chose de dérisoire au regard du drame dans lequel le Proche-Orient est plongé depuis le 7 octobre, et des attentats d’Arras et de Bruxelles. Les interrogations sur leur articulation précise, par rapport aux procédures prévues par le DSA comme les procès en arrière-pensées politiques instruits à l’encontre du Commissaire européen, ignorent l’essentiel. La valeur politique du signal envoyé aux plateformes, sur la détermination de la Commission à se saisir pleinement des compétences que lui a données le DSA, pour combattre la désinformation et les propos haineux en ligne. Et adresser par là même un message de vigilance au grand public, sur la façon dont il appréhende les messages postés sur les réseaux sociaux.

Si le geste est à saluer plutôt qu’à blâmer, il souligne aussi, a contrario, la triple limite qui rend illusoire une activation rapide et efficace du règlement.

  • Question de calendrier, d’abord. Le DSA est en vigueur depuis le 25 août, s’agissant des « Très grandes plateformes », mais il faudra attendre plusieurs mois pour que l’ensemble des acteurs soient intégrés à son périmètre (février 2024), et davantage encore pour que fonctionnent l’ensemble des organes de gouvernance (coordinateurs nationaux, comité en charge de prononcer d’éventuelles sanctions…) qui y sont associés.
  • Défaut de définition claire, ensuite, s’agissant des situations de « crises » susceptibles de permettre d’accélérer les procédures prévues par le règlement.
  • Lourdeur procédurale, finalement, des mécanismes d’intervention et, potentiellement, des sanctions qu’il prévoit.

Plus fondamentalement, le DSA n’est pas conçu dans une logique d’obligation de résultat (imposer que cessent les flots de messages haineux) mais de proportionnalité des moyens mis en œuvre par les plateformes pour traiter les signalements qu’ils reçoivent et, plus généralement, pour modérer les contenus qui y sont publiés. Il faudra malheureusement que plusieurs crises se succèdent avant que les services de la Commission puissent affiner leur appréciation des actions entreprises, de leur proportionnalité par rapport aux événements traversés, et de leur capacité effective à « atténuer les risques recensés », et se trouvent pleinement à même d’imposer aux plateformes d’accentuer leur effort et les moyens qui y sont consacrés.

Il faudra donc du temps pour espérer réduire ces débordements, sans même parler de les tarir.

Il est frappant, dans le même temps, de ne relever aucune critique, ou presque, concernant le travail des médias d’information et de leurs journalistes, mobilisés depuis plus de dix jours dans des conditions difficiles et parfois périlleuses.

S’agissant des médias audiovisuels, le président de l’ARCOM Roch-Olivier Maistre nous confirme le caractère marginal des réclamations reçues par l’Autorité, y voyant le double signe de la bonne maîtrise de leurs antennes par les médias, et du bon fonctionnement de mécanismes de régulation éprouvés. Mais le commentaire vaut certainement aussi pour la presse écrite.

Parce que les contenus que produisent les rédactions sont aussi largement distribués sur les réseaux sociaux, assurer leur visibilité garantirait à ceux qui souhaitent s’y informer – et pas s’y enfermer dans des messages bellicistes – de trouver leur chemin.

Il faudrait, a minima, aller à rebours de l’évolution récente de X qui tend à invisibiliser les publications des médias pour aller, plutôt, vers la combinaison de mécanismes de labellisation et d’assurance de mise en avant.

La piste a été évoquée dans la période qui a précédé le lancement des Etats Généraux de l’information. Les – si dramatiques – événements dans lesquels le monde est plongé ne peuvent que la conforter.