Présentant ce mardi soir M6+, les dirigeants du groupe M6 ont respecté la tradition gauloise consistant à agrémenter leur propos de mini coups de griffes à l’égard du frère ennemi TF1. C’est pourtant peut-être davantage de l’autre côté de l’Atlantique qu’on a à s’inquiéter de leurs ambitions dans le streaming.
D’ici à la fin mai, après que M6+ aura été effectivement lancés, TF1+ et la plateforme française de RTL Group mettront à elles deux plusieurs centaines de films à la disposition du public, autant de séries, un nombre à peu près équivalent de dessins animés, et le meilleur de leurs programmes d’information ou de divertissement. Et le nombre a toutes les chances de se voir encore augmenté lorsque France Télévisions lancera, à l’automne, la nouvelle version de france.tv.
Au final, et en l’espace d’une année, l’offre de streaming accessible gratuitement aura radicalement changé de dimension, et la capacité du public à y accéder sera tout autant transformée : M6 dans quelques semaines, comme TF1 depuis le mois de janvier sera accessible sur les smart TV et sur l’ensemble des écrans connectés.
Les streamers mondiaux n’ont pas de raison de s’en réjouir.
Face à des applications accessibles sans abonnement, aux catalogues plus fournis et ayant pris le virage de l’hyperdistribution, il leur sera sans doute plus difficile, d’abord, de convaincre les 40 % de Français qui ne sont encore clients d’aucun service de SVoD. Sauf à accepter une dégradation du montant perçu par abonné pour continuer à faire progresser leur pénétration, en s’intégrant à des offres packagées (le bundle Carrefour Plus / Netflix ou la brochette de plateformes associées à la nouvelle box de Free, par exemple, ces dernières semaines) et, dans tous les cas, au travers de leurs forfaits avec publicité commercialisés entre 6 et 7 € par mois plutôt qu’avec leurs formules premium.
Le champion Netflix indiquait ainsi lors de la présentation de ses résultats annuels que son offre avec publicité pesait désormais pour la moitié de ses nouveaux abonnés.
Le constat ne serait pas alarmant, s’il se traduisait dans les comptes des streamers par un simple jeu de vases communicants, les revenus tirés des annonceurs compensant la baisse de la contribution des abonnés.
Mais c’est bien cette correspondance que la montée en puissance des plateformes de BVoD vient menacer. De leur attractivité renforcée, les éditeurs de ces dernières attendent naturellement un usage renforcé. Nicolas de Tavernost et David Larramendy prévoient par exemple que le volume d’heures visionnées sur M6+ soit le double en 2028 de ce qu’il était en 2023 pour 6Play (un milliard d’heures vues vs 518 millions en 2023). Or le temps quotidien consacré à la vidéo n’est pas extensible à merci. En France, il a même diminué d’un peu plus de 10 minutes en 2023, par rapport à 2022, d’après Médiamétrie, et d’autres encore – YouTube, TikTok, Instagram, Pluto TV, Samsung TV Plus… – viennent le disputer.
Au final, le risque est bien que les minutes supplémentaires passées à visionner films ou séries sur TF1+, M6+ ou france.tv se traduisent, par une baisse symétrique de la durée de fréquentation des plateformes de SVoD. Entre le 8 janvier (date de lancement de TF1+) et le 28 février 2024, le nombre de SVodistes recensés par Médiamétrie a en tout cas diminué de 11 %, et le nombre de programmes qu’ils ont visionnés sur les plateformes payantes a reculé de manière équivalente.
Or moins d’utilisateurs, et pour des durées plus courtes, c’est au final moins d’inventaire à commercialiser auprès des annonceurs pour faire progresser les revenus de publicité. Et moins d’utilisation d’un service payant, c’est à court ou moyen terme une forte probabilité d’en résilier l’abonnement, et une menace équivalente sur les recettes d’abonnement.
C’est peut-être en se concentrant séparément sur leur cœur de métier que TF1, M6 et France Télévisions parviendront demain à déstabiliser les plateformes, alors que leur initiative commune dans le payant, Salto, n’y était pas arrivé hier.