Pour être volontairement provocatrice, la formule ne suggère évidemment pas de revenir sur le chinese wall qui existe entre rédactions et équipes commerciales ni, évidemment, de mettre en cause les règles qui servent à le protéger.
Des règles existent de longues dates dans le droit français, qui visent également à éviter toute confusion dans le regard du public (l’obligation pour les chaînes de télévision de signaler clairement le début d’un écran publicitaire ou, dans la presse écrite, celle de mentionner les espaces consacrés à la publicité ou aux contenus publirédactionnels, par exemple). Et le règlement européen sur la liberté des médias (EMFA) qui est sur le point d’être adopté renforce les obligations de transparence. Ces dispositions sont salutaires, et il est souhaitable qu’elles soient également appliquées aux environnements numériques.
Mais au-delà. En lançant les Etats Généraux de l’Information, le Président de la République a souhaité garantir que chacune et chacun puisse bénéficier d’une information de qualité. Pour aujourd’hui comme pour demain. Cet objectif est indissociable des moyens dont disposent les médias d’information et, finalement, de leur viabilité économique.
Une « information de qualité » ne se limite pas à l’énoncé de faits bruts et au « bâtonnage » de dépêches d’agences. Elle suppose la capacité à les compléter par des reportages de terrain, à en effectuer une mise en perspective, à offrir une diversité d’analyses et de commentaires… et, plus globalement, à leur apporter une valeur ajoutée rédactionnelle.
Elle suppose au-delà que l’ensemble du travail de la rédaction soit encadré par un processus rigoureux de correction et de vérification permettant de faire de l’erreur de bonne foi une inévitable exception (on ne pense pas, là, à la diffusion volontaire et organisée des fake news, qui relève, elle, de poursuites judiciaires et/ou de l’activité du régulateur).
Et ce simple énoncé, ramène inévitablement au sujet des ressources dont disposent les médias, en même temps qu’il fait écho à l’apparente provocation du début de ce propos.
Presse écrite, radio et télévision se partagent en France la très grande majorité du coût de l’information. Mais les ressources qui y correspondent – soutien public (de la redevance audiovisuelle aux aides à la presse), paiement par le « consommateur » final (abonnements et ventes au numéro de la presse, recettes de la télévision payante) et publicité – ont diminué de près d’un milliard d’euros en cinq ans (2018 à 2022) : -200 M€ pour les financements publics, -480 M€ pour les dépenses volontaires des lecteurs / téléspectateurs, et -290 M€ pour la publicité… au final, cette dernière est plus que jamais la première source de revenus des médias (36 % du total), quand les financements publics n’en représentent qu’à peine un quart (24 %).
Mais le pilier apparait de plus en plus fragile, avec la propension croissante des annonceurs à parier sur les plateformes numériques plutôt que sur les médias historiques. Portées par une incontestable dynamique des usages, mais aussi par une réglementation autrement plus lâche, ces dernières tendent à capter l’ensemble de la croissance du marché, et au-delà. Quand quatre euros sur dix investis en publicité allaient en 2018 à la presse, à la télévision ou à la radio, le chiffre n’était plus que de trois début 2023. Et l’étude prospective que viennent de rendre publique la DGMIC et l’Arcom fait craindre une aggravation : elle évalue que la part des recettes publicitaires qui contribuent à financer l’information pourrait encore diminuer de plus d’un milliard d’euros en 2030.
Parmi les dix priorités qui ont été définies pour les Etats Généraux de l’Information, la seconde vise à « obtenir que les annonceurs contribuent efficacement au financement du journalisme ». Cet objectif représente même la clé-de-voute de l’ensemble de la réflexion. A quoi bon, par exemple, s’attacher à conforter le secret des sources si aucun média n’a plus les moyens, demain, de financer des enquêtes ?
Il en va aussi, et à un double titre, de l’intérêt des annonceurs eux-mêmes. Quand ils font la promotion de leur marque, les médias leur assurent la brand safety, autrement dit l’assurance qu’elles soient mises en avant dans des environnements rédactionnels de qualité et pas au milieu d’un torrent de logorrhées complotistes. Et au-delà, ceux qu’on appelle « annonceurs » sont plus largement des entreprises, dont les dirigeants ont besoin tous les jours d’une information économique fiable pour piloter leurs décisions.
Le combat est essentiel, et il n’est pas perdu. De la même façon que les entreprises ont su progressivement intégrer les objectifs sociétaux et environnement à leurs stratégies, et qu’elles se sont habituées à en rendre compte dans leurs rapports RSE, osons croire qu’elles adhéreront à l’objectif de réinvestissement dans les médias de qualité. Le « S » (pour sociétal) de ces rapports n’en trouvera que davantage de sens quand il rendra compte de leur implication.