Va-t-on vers une « méga fusion » ou, à l’inverse, TF1 et M6, même rassemblés, ne pèseront-ils pas davantage demain qu’un « nain audiovisuel » ? On aura tout lu, ou presque, pour qualifier le rapprochement annoncé le 17 mai dans la soirée. Illustration, s’il en est, de la difficulté à trouver la juste profondeur de champ pour analyser l’opération et en apprécier pleinement les dynamiques. Au cours des dix huit prochains mois, la question sera au centre des travaux des autorités de la concurrence comme du CSA. Elle pèse déjà sur le climat des négociations professionnelles, en vue des arbitrages que les pouvoirs publics devront arrêter pour finaliser les décrets SMAD et TNT. Quelques observations peuvent aider peut-être à l’éclairer.
Sans être sûr que cela suffise à dissiper les inquiétudes concernant les effets d’une trop forte concentration du PAF, on peut d’abord se rappeler que la cohabitation dans un marché donné de deux acteurs puissants, l’un public, l’autre privé, n’est pas nouvelle en Europe. L’audiovisuel italien s’organise autour de l’axe RAI / Mediaset et son équivalent britannique autour du tandem BBC / ITV. Dans un cas comme dans l’autre, ces configurations prévalent depuis plusieurs décennies, dans des temps où la situation concurrentielle n’avait rien d’équivalent avec ce qu’elle est aujourd’hui. Et, au Royaume-Uni, au moins, public et privé ont trouvé à travers Britbox, un outil partagé pour regrouper leurs forces dans le numérique, face aux plateformes vidéo mondiales, payantes (SVoD) ou gratuites (AVoD).
Sur l’ensemble des marchés (amont, aval et intermédiaire, pour reprendre la grille de lecture des autorités de marché), la fusion TF1/M6 interviendra dans un contexte de pression croissante, dont les prévisions concernant l’évolution du marché publicitaire publiées ce jeudi 20 mai par NPA Conseil apportent une illustration : avec la montée en puissance de la publicité vidéo digitale (display vidéo, vidéo sur les réseaux sociaux, AVoD…), les groupes audiovisuels TV devraient perdre 13 points de part du marché global vidéo d’ici à la fin 2023, et elles ne pèseront plus alors que pour un « gros » 60% du marché. Dans ce cadre, le poids de l’ensemble TF1/M6 devrait se rapprocher des 40%, relativisant d’autant sa puissance sur le marché intermédiaire…
Mais sans attendre la finalisation éventuelle du deal, celui-ci est déjà dans « toutes les têtes » dans les négociations professionnelles entre chaînes et producteurs, et les développements de ces derniers jours illustrent la façon dont le gouvernement recherche la définition d’un équilibre mutuellement acceptable. D’un côté, le gouvernement s’opposera à la volonté du sénateur Jean-René Hugonet de supprimer les principes qui figurent aujourd’hui dans la loi de 1986, pour renvoyer les professionnels à de la pure négociation commerciale. Laquelle mettrait à bas le socle posé par les décrets Tasca. Dans le cadre de la discussion en séance de son projet de loi « relatif à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique », la ministre Roselyne Bachelot défendra donc un amendement de suppression du texte adopté par la commission de la culture, sur proposition de son rapporteur.
Dans le même temps, les orientations du projet de décret TNT présentées aux professionnels ce mardi 18 mai traduisent la volonté du gouvernement de déplacer certains curseurs, dans un sens qui aide les éditeurs à mieux maîtriser les droits d’exploitation ultérieure des programmes qu’ils ont majoritairement financés : possibilité d’une part dépendante de 34 % plutôt que 25 %, possibilité de bénéficier de parts de coproduction, et des revenus associés, dès lors que 50 % au moins du budget a été payé par la chaînes (vs 60 à 70 % aujourd’hui) ; retour en arrière sur le « fléchage » du mandat de distribution vers le producteur… (l’INSIGHT NPA détaille les évolutions proposées, sur la base des documents présentés en séance aux professionnels). Le texte des futurs décrets, attendus pour le début de l’été, permettra de mieux évaluer les futurs équilibres sur les marchés amont.
Restent les sujets des modalités d’examen de l’opération (en résumé, qui de l’AdlC ou de la Commission Européenne en sera chargé ?) et celui, corolaire, des délais « d’atterrissage » de la procédure (pour mémoire, la volonté de créer Salto a été annoncée par France Télévisions, M6 et TF1 en juin 2018, mais n’a été autorisée qu’en août 2019, soit après 14 mois, et alors que la société n’avait encore aucune activité ni, a fortiori, chiffre d’affaires ou puissance d’achat susceptible de peser sur les équilibres du marché).
Tenir l’échéance de la fin 2022 suppose une coordination rapide de la part des autorités de la concurrence nationale (AdlC) ou communautaire (Commission) afin de désigner celle qui aura la charge du dossier. La présence durable (deux ans au moins, et potentiellement beaucoup plus, selon les termes du patron de Bertelsmann Thomas Rabe dans Le Figaro du 20 mai) donne du poids à l’hypothèse d’un renvoi vers les instances communautaires.
Souhaitons, a minima, que le calendrier tienne compte de l’échéance de mai 2023 pour le renouvellement de la fréquence de M6 par le CSA