Mounir Mahjoubi n’apprécie visiblement pas que l’on évoque auprès de lui le Conseil National du Numérique. Le 19 décembre dernier, sa présidente Marie Ekeland et l’ensemble de ses 30 membres démissionnaient de leurs fonctions… huit jours après y avoir été nommés. « La nouvelle composition du CNNum doit être annoncée avant le début de l’année 2018 », affirmait alors Le Figaro, sur la foi d’un entretien avec le secrétaire d’Etat chargé du Numérique ; « C’est formidable que le sujet vous intéresse autant… On a besoin d’avoir des experts sur le numérique que l’on puisse consulter. Là, on va beaucoup parler d’intelligence artificielle. Ce sera un bon moment pour reparler du CNN. Trop longtemps avant, ou trop longtemps après, ce n’aurait pas été opportun », s’agace-t-il aujourd’hui après que Libération l’ait interrogé sur le sujet.
Simple péripétie ? Rupture singulière, en tout cas, avec la mission du Conseil telle que la rappelle son site Web, et qui ne semble pas se limiter à des sollicitations ponctuelles : « Le Conseil national du numérique est chargé d’étudier les questions relatives au numérique, en particulier les enjeux et les perspectives de la transition numérique de la société, de l’économie, des organisations, de l’action publique et des territoires. Il est placé auprès du ministre chargé du numérique. Dans son champ de compétence, il a pour missions :
- D’informer et de conseiller le Gouvernement dans l’élaboration, la conduite et l’évaluation des politiques et de l’action publiques ;
- De contribuer à l’élaboration des positions de la France aux niveaux européen et international;
- De formuler de manière indépendante et de rendre publics des avis et des recommandations». Par exemple celle sur la « Transformation numérique des PME », signée en 2016 par le Président du CNNum de l’époque… Mounir Mahjoubi.
Mais outre qu’elle apparaît peu raccord avec l’esprit de la campagne participative conduite sur les réseaux numériques par celui-ci pour le compte d’Emmanuel Macron, ce changement de pied apparaît assez symptomatique de la difficulté des gouvernements successifs à proposer une réflexion globale, appréhendant l’ensemble des dimensions de la société digitale. Très haut débit un jour, neutralité le lendemain, fiscalité des GAFA et finalement Intelligence artificielle, comme autant de silos, mais quid d’une vision d’ensemble qui parte de l’individu et de la façon dont le numérique bouleverse sa façon de se former et de s’informer, de travailler et de se déplacer, de se soigner et de se divertir…
A l’inverse, la passionnante interview que le patron de Dassault Systèmes dans Les Echos est exemplaire, s’agissant de la transformation de l’industrie française (« Je pense qu’on a une industrie et un schéma directeur des initiatives de l’Etat qui reste sur un modèle de numérisation du passé. On ne repense pas réellement ce que sont les catégories futures de solutions. Entre numériser l’industrie du XXe siècle et inventer l’industrie du XXIe siècle, il y a une différence »), et au-delà (« Pourquoi n’a-t-on pas créé une filière villes par exemple ? Aujourd’hui, Singapour intègre dans une même approche, l’urbanisme, les services, la mixité sociale, la performance économique, la durabilité, les accès aux soins… Ce n’est pas de la science-fiction, cela se passe en ce moment »).
Le jeune ministre se situe malheureusement dans la continuité de ses prédécesseurs. Et, à défaut d’animer la réflexion collective, il ne semble pas non plus préoccupé de se saisir de l’arme législative : « Je n’ai aucun fétichisme pour ce genre de textes », répond-il à Libération, en réponse à la question de savoir s’il « prépare une loi sur le numérique ». Le lecteur est prévenu.