Producteurs, éditeurs et distributeurs audiovisuels nationaux peuvent souffler : alors que la version initiale du projet de « règlement câble-sat 2 » prévoyait pour l’ensemble des contenus que « les actes relevant du droit d’auteur nécessaires à la fourniture d’un service en ligne (…) ont lieu uniquement dans l’Etat membre où l’organisme de radiodiffusion est établi », le vote intervenu ce mardi au sein de la Commission juridique du Parlement européen, et qui limite l’application du « principe du pays d’origine » aux seuls programmes d’information. Le grand soir du principe de territorialité des droits n’est pas pour aujourd’hui.
Pour autant, les professionnels auraient tort de croire dans une victoire définitive :
- Si la digue a à peu près tenu, grâce à la mobilisation des professionnels notamment, la disposition adoptée sur les contenus de news représente un coin, et demain peut-être une brèche… Elle s’ajoute aux effets à attendre du règlement sur la « portabilité » qui permettra dès 2018 à un consommateur européen de recevoir les chaînes et services auquel il est abonné n’importe où dans l’Union, sous réserve que cela soit dans le cadre d’un séjour « provisoire » dont les limites sont mal définies. Et surtout, que l’on souscrive à l’explication par la frustration des fonctionnaires européens de ne pas recevoir à Bruxelles les programmes de leurs pays respectifs ou qu’on les crédite d’une vision plus politique, on voit mal comment ils renonceraient demain à leur objectif de marché (totalement) unique numérique.
- On n’imagine pas davantage les plateformes mondiales – Netflix, Amazon… – revenir sur des stratégies de déploiement mondial (le Flash NPA de ce 22 novembre indique par exemple que près de 40% des titres disponibles sur Netflix France sont également sur les versions allemandes et/ou anglaises du service)… dans lesquelles les studios américains sont de plus en plus nombreux à les rejoindre (CBS All Access, HBO Go…).
Il parait donc plus raisonnable de considérer que les ayants droits se sont achetés le temps nécessaire à se préparer à un inexorable mouvement d’abaissement des barrières réglementaires et d’ouverture des marchés.
S’agissant de la France, cet effort d’adaptation passera certainement par une action de simplification du cadre juridique, afin d’améliorer les marges de manœuvre des acteurs nationaux vis-à-vis des acteurs globaux. Dans sa « feuille de route » adressée le 9 août à la ministre de la Culture, le Premier Ministre Edouard Philippe pointe à juste titre « un cadre réglementaire devenu trop complexe et déconnecté des évolutions technologiques du marché », érigeant la « simplification de la législation audiovisuelle », « l’adaptation de la régulation » comme deux des objectifs de la loi audiovisuelle appelée, en 2018, à transposer en droit français la Directive SMA ; les suites données à la consultation publique sur la réglementation publicitaire, comme celles de la mission de médiation confiée à Dominique d’Hinnin sur la réforme de la chronologie des médias représenteront deux premiers signaux de cette volonté simplificatrice.
Améliorer la maîtrise des droits sur l’ensemble des territoires représente aussi une condition d’attractivité des programmes français auprès des acteurs globaux. Les studios américains y ont historiquement pourvu par un mouvement de concentration verticale, qui leur permet de réexploiter à l’international les œuvres qu’ils ont financés ; c’est dans le même esprit de capacité de distribution « tous pays » que se développent les programmes de créations originales ou les stratégies d’achat conduits par Netflix ou Amazon. Les assouplissements introduits par la loi Création du 15 novembre 2013, et précisés par le décret du 27 avril 2015 ne modifient pas en profondeur l’équilibre recherché en son temps par Catherine Tasca entre producteurs indépendants (qui conservent la propriété des droits) et éditeurs (limités à l’acquisition de droits de diffusion). Sans doute le gouvernement actuel devra-t-il aller vers un arbitrage plus tranché.
Peser dans un monde ouvert supposera enfin, pour les « champions nationaux » d’acquérir une stature internationale. De ce point de vue, la multiplication des accords de coopération passés par TF1 sur la commercialisation d’espaces publicitaires (avec Pro7Sat1, Médiaset et Channel 4) ou pour le développement de coproductions internationale (avec NBC et RTL Group), la création d’une joint-venture entre Canal+ et Telecom Italia, ou l’appel de Delphine Ernotte à l’intensification des coopérations entre groupes audiovisuels publics européens vont dans le bon sens. Pas sur aujourd’hui que ce soit encore au bon rythme.