Le 15 avril 2021 marquait la 1000e parution de la note de veille INSIGHT NPA. Pour l’occasion 22 contributeurs exceptionnels partagent leur vision des enjeux clés de l’Horizon 2030.
Christian Bombrun est Directeur Produits & Services et Orange Content chez Orange et président de l’Association Française pour le développement des services et usages Multimédias Multi-opérateur (AF2M)
“Au-delà de la tant espérée réouverture des lieux de spectacles et des salles de cinéma, l’arrivée de l’été 2021 constituera une échéance majeure pour les professionnels du cinéma et de l’audiovisuel.
Avec l’entrée en application prochaine du décret SMAD, l’intégration des plateformes de SVoD au financement de la production que la Directive SMA a rendue possible devrait être effective au 1er juillet. L’aboutissement espéré, à la même date, de la négociation professionnelle sur la chronologie des médias consacrera la nouvelle organisation des fenêtres d’exploitation des films. Et la réforme des décrets TNT et Cabsat bouclera l’ensemble. Avant de finaliser ce nouveau dispositif, et parce qu’il jouera un rôle déterminant dans l’économie de la filière, le gouvernement gagnera à poursuivre la réflexion sur le juste positionnement des différents curseurs, comme l’y invite la Commission Européenne dans son avis du 19 mars.
L’équation économique d’ensemble pourrait ainsi être réexaminée, en s’appuyant sur un exemple étranger comme le relate l’étude NPA sur le use case britannique. Celle-ci montre qu’un avantage fiscal a provoqué un quasi doublement de financements grâce aux plateformes de streaming, et a généré une flambée des coûts et une menace d’éviction des acteurs historiques.
Pour ce qui est du cinéma, la diversification des financements de diffuseurs au-delà des chaînes historiques, est évidemment une bonne nouvelle. Cet apport supplémentaire pourrait permettre d’améliorer bon nombre de films insuffisamment financés, et de rééquilibrer les contributions financières entre acteurs, dans le respect de l’équité.
Où sont les risques ?
Le premier est l’appauvrissement de l’offre de films qui sortiront en salle, risque aggravé par des habitudes de consommation à domicile prises pendant la crise COVID. Les nouveaux diffuseurs, les services de streaming, ont préféré jusqu’ici, commanditer des films pour une sortie exclusive pour leurs abonnés. Cet important volume de production mobilisera des talents, générera des projets qui ne seront pas disponibles pour la salle de cinéma.
Le second est lié aux modalités d’insertion de ces nouveaux diffuseurs dans la chronologie des médias. Le projet de décret SMAD prévoit pour ces services une fenêtre d’exploitation à 12 mois de la sortie salles, pour une durée de 12 mois. Celle-ci s’incruste donc dans la fenêtre de Télévision payante, qui court sur la période allant de 8 à 17 mois. Est-ce la contrepartie de l’imposition de taux de contribution sur le chiffre d’affaires largement supérieurs à ceux des autres Etat-Membres de l’UE : un maximum de 5 % vs 20 et 25 % en France ? Malgré cela, les taux plancher dédiés au cinéma qui en résultent restent largement inférieurs à ceux imposés aux acteurs historiques : 4 à 7,5 % vs 12,5 à 27 %.
Dans ces conditions, l’incrustation de la SVoD dans les fenêtres de télévision payante revient à organiser une concurrence frontale dans le financement des 1ères fenêtres, entre des acteurs qui consacrent en soutien à la production cinéma, un pourcentage de chiffre d’affaires qui varie du simple au double, voire au triple.
Permettre aux plateformes de contribuer à la création, et aux acteurs historiques de continuer à jouer leur rôle dans le rayonnement culturel français
La chronologie des médias est un outil pour optimiser les financements par coopérations, qui n’est pas incompatible avec une concurrence, dans chaque fenêtre d’exploitation, dès lors que les acteurs y jouent à armes égales. Souhaitons que le secteur et le législateur trouvent ce nouvel équilibre, qui permettra aux plateformes de contribuer durablement à la création, et aux acteurs historiques, notamment Canal+, OCS et plus récemment Salto, de continuer à jouer leur rôle essentiel dans le rayonnement culturel français.”