Le 15 avril 2021 marquait la 1000e parution de la note de veille INSIGHT NPA. Pour l’occasion 22 contributeurs exceptionnels partagent leur vision des enjeux clés de l’Horizon 2030.
NPA : Vous êtes le fondateur et le président de Federation Entertainment. La société a 8 ans en 2021. Quelles perspectives voyez-vous pour elle dans les 8 prochaines années ?
Pascal Breton : Au cours des dix ou quinze prochaines années, la question ne sera pas celle d’un manque de commandes. Le volume à produire sera gigantesque.
Pour autant, notre secteur va devoir s’adapter à la nouvelle géographie des acteurs, avec deux enjeux principaux à la clé : le partage de la valeur, d’une part ; la bataille pour attirer et conserver les talents, de l’autre, de l’auteur de BD au réalisateur, en passant par le producteur. Dans le monde de demain, quelqu’un comme Eric Rochant qui sait écrire, réaliser et même produire représente l’exemple type du talent qui sera hyper recherché.
Au final, le prix de ces talents majeurs va certainement augmenter. En revanche, je ne crois pas à un risque inflationniste qui se propagerait à l’ensemble des métiers.
NPA : Est-ce qu’on ne va pas néanmoins assister à une montée des budgets ?
PB : On va surtout avoir un marché qui va se fragmenter. Pas sur des critères éditoriaux puisqu’on voit TF1 ou France Télévisions monter sur des écritures de plus en plus audacieuses, comme dans le cas d’Un homme d’honneur ou Une affaire française , et se rapprocher de ce point de vue de Canal+.
Mais sur des aspects financiers. Les acteurs historiques, tels que TF1 ou France Télévisions en France ne pourront pas, sauf exception, aller au-delà de 800 K€ ou 1 M€ par heure produite, et ils vont même aller vers une baisse tendancielle des budgets.
Sur les gros projets, il faudra de plus en plus systématiquement intégrer une plateforme pour boucler le financement.
NPA : Le point de tension viendra donc plutôt du partage de la valeur ?
PB : Il va falloir faire coexister la culture américaine, dans laquelle les studios sont propriétaires des talents et conservent l’ensemble des droits sur les exploitations secondaires notamment, avec la tradition européenne, qui prévoit un partage plus équilibré. Notre histoire et nos règles y contribueront. Là où la répartition se fait plutôt dans un rapport 70/30 aux Etats-Unis, je pense que nous serons à 50/50 en Europe. Avec, toujours, l’exception Omar Sy, qui est probablement aujourd’hui le talent français le plus bankable dans le monde !
La bataille pour attirer et conserver les talents sera l’un des enjeux principaux de la prochaine décennie
NPA : Vous avez cité les auteurs de BD comme source d’inspiration. D’autres producteurs regardent l’univers du jeu vidéo…
PB : On peut aussi penser à des auteurs de littérature ou à des journalistes, pour leur capacité à être dans une « écriture du réel ». Et il y a aujourd’hui une fenêtre pour les talents les plus jeunes qu’on n’avait pas connu au cours des trente dernières années. Le succès peut venir beaucoup plus vite et plus tôt.
Cela confirme que le vivier de talents a besoin d’être renouvelé. Et il y a en France un énorme besoin de formation des auteurs. Nous sommes très en retard sur le sujet.
Si la demande double au cours des prochaines années comme on peut le penser, il faudra que les dépenses de développement triplent dans la même période !
NPA : La convergence était au cœur des débats il y a quelques années à peine. Le sujet semble presqu’oublié aujourd’hui...
PB : Parmi les grands exemples récents de mouvements de convergence, il reste quand même AT&T avec Warner !
Mais il est vrai que les telcos ont tendance aujourd’hui à se limiter à une position de distributeur.
La bataille de la production des contenus mobilise trop de cash, au regard des investissements qu’ils doivent déjà réaliser sur leur cœur de métier.
D’une certaine façon, Vivendi illustre cet exercice de priorisation, sur le contenu dans son cas, avec le désengagement progressif d’UMG qui aidera à financer le développement de Canal+.
NPA : Le développement durable devrait être central au cours des années qui nous mènent vers 2030…
PB : Il devient déjà une norme dans les contrats que nous signons avec certains commanditaires, et nous travaillons à une charte qui vaudra pour l’ensemble de nos productions.
Prendre en compte la problématique du développement durable suppose, au-delà, de lutter contre la tendance au « toujours plus » qui a tendance à régner sur les tournages, et au gâchis qu’elle entraîne : une équipe toujours plus importante, avec toujours plus de moyens techniques…
Le premier axe, c’est donc d’être plus rigoureux.
La deuxième direction, qui épouse par ailleurs le mouvement naturel du secteur, c’est de tourner davantage en studio, et en utilisant davantage d’effets spéciaux et de décors virtuels.
Si on construit quelques gros studios dotés d’équipements de haute technologie en région parisienne, cela confortera cette tendance, en même temps que cela consolidera la place de Paris comme 2e capitale européenne de la production. Derrière Londres, certes, mais devant Rome, Madrid ou Berlin. Et ce serait d’autant plus naturel que la France dispose de leaders continentaux voire mondiaux avec Banijay, Mediawan, ou Federation !