Le 15 avril 2021 marquait la 1000e parution de la note de veille INSIGHT NPA. Pour l’occasion 23 contributeurs exceptionnels partagent leur vision des enjeux clés de l’Horizon 2030.
NPA : La décennie 2020 s’est ouverte avec la crise sanitaire. Doit-on s’attendre à des effets durables en matière de pratiques culturelles ?
Pierre-Antoine Capton : Le début de la décennie 2020 a été particulièrement paradoxal pour le secteur culturel. La crise a été brutale pour les industries culturelles mais en même temps la culture a été un refuge pour beaucoup d’entre nous pendant le confinement. Les livres, la musique, les séries, ou encore les films ont joué un rôle essentiel pour l’équilibre mental de chacun.
La crise a certes été un accélérateur de la digitalisation des pratiques des consommateurs dans l’audiovisuel, mais la tendance était déjà enclenchée depuis plusieurs années. Contre toute attente, les audiences de la télévision ont aussi explosé et on a renoué avec le rôle fédérateur de la télévision. Je suis certain que cela aura un effet durable.
Aujourd’hui, l’enjeu principal pour les acteurs du monde culturel est de repenser notre secteur pour le préparer à la sortie de la crise, démocratiser certains genres, redonner aux gens envie de retrouver la culture hors de la maison en étant audacieux et en proposant des expériences exigeantes de qualité. Il va falloir recréer les habitudes qui ont été perdues.
NPA : Avec Mediawan et Banijay, la France brille aujourd’hui à l’échelle mondiale en matière de production de flux. Les plateformes finiront-elles aussi par s’imposer sur ce territoire ?
P-AC : Les plateformes commencent à investir doucement dans le flux, Néanmoins, je ne suis pas certain qu’il soit toujours pertinent d’opposer plateformes et diffuseurs traditionnels. Aujourd’hui les frontières sont extrêmement minces entre les deux. Les diffuseurs dans leur ensemble, sous l’impulsion des plateformes, ont créé leurs propres plateformes et se sont inspirés des méthodes de production des plateformes.
Dans 10 ans, on ne fera plus de distinction entre plateformes et diffuseurs traditionnels
De leur côté, les plateformes se sont aussi inspirées des succès télévisuels pour investir sur le flux. Je pense que dans 10 ans, on ne fera plus de distinction entre les deux.
Pour autant, je ne suis pas de ceux qui prédisent la fin du linéaire, mais un changement du linéaire. Personne n’a envie de regarder une émission d’actualité, un match de foot ou une allocution présidentielle en catch-up, et il y aura toujours ces grands moments de télévision pour réunir des millions de téléspectateurs devant leur écran.
NPA : Le sujet du développement durable est devenu central. Quels sont les engagements de Mediawan sur ce sujet ?
P-AC : C’est un sujet central pour nous, qui se reflète de deux manières.
Tout d’abord, nous avons aujourd’hui formé l’ensemble de nos directeurs de productions afin de réduire l’impact environnemental des tournages, nous avons des partenariats avec des acteurs reconnus pour éviter le gaspillage avec des entreprises comme Linkee* et nous travaillons à la mise en place d’une charte environnementale qui, j’espère, deviendra un standard
Notre responsabilité en tant que producteurs, c’est aussi d’être des moteurs du changement en sensibilisant le grand public aux enjeux environnementaux à travers les contenus que nous produisons. C’est pour cela que nous avons produit Green Blood qui a été diffusé sur France 5 l’année dernière, que nous avons une section «Planète et environnement » sur notre plateforme de documentaires Explore, disponible sur Apple TV, et que nous invitons régulièrement des experts sur nos plateaux.
NPA : Les règles qui encadrent le secteur audiovisuel vont évoluer avec la Directive SMA et le décret SMAD, comme elles le font fréquemment. Faut-il une « trêve réglementaire » comme le réclament certains secteurs afin d’améliorer leur visibilité ou auparavant effectuer certaines modifications de fond?
P-AC : On pourrait avoir une approche apparemment pragmatique du secteur audiovisuel et se dire : laissons le marché faire, ne régulons pas trop…
Mais je suis convaincu que notre chance et notre plus grande force en Europe, et surtout en France, c’est d’appréhender les questions culturelles avec une vision et des convictions fortes, parce qu’on a réussi à concilier diversité culturelle, création et économie. Sans les régulations que nous avons mises en place dans les années 80 et 90, l’industrie cinématographique française ne serait pas la 5ème au monde. Je suis convaincu que les régulations que nous sommes en train d’adopter vont dessiner le paysage audiovisuel et cinématographique de demain et que cela aidera à faire de la France non seulement un grand pays de cinéma mais aussi un grand pays de l’audiovisuel.
*Entreprise solidaire de lutte contre le gaspillage alimentaire