C’est LE sujet numérique du moment, le mot-valise à la mode : le Métavers. Facebook s’est rebaptisé Meta, et le programme pour la culturel du candidat Macron tient en une vague formule : « construire des métavers européens », sujet « absolument essentiel ». Derrière le buzz qui entoure ce concept, avouons que c’est le flou tant sur ce qu’il recouvre, que sur les conséquences que son essor pourra avoir pour les secteurs couverts par NPA. En 10 questions-réponses et sans prétendre faire le tour de la question, NPA s’efforcé d’apporter un éclairage didactique.
Le métavers suscite abondance de littérature et de commentaires. Pour n’en citer que quelques exemples récents, le dernier Cahier de Tendances méta- médias #20 de France Télévisions lui consacre près de 200 pages (à télécharger ici). Le collectif de l’innovation numérique francilien Cap Digital a organisé une rencontre de plusieurs heures mardi 22 mars pour une « Tentative de décryptage du buzz autour des métavers, NFT et du Web3 ». Et mercredi 23 mars, au Forum Series Mania à Lille, Laurent Solly, VP de Meta pour l’Europe du Sud discutait de l’impact du métavers sur le monde des séries. L’ambition de cet article est plus modeste : tenter de répondre à quelques questions simples
1 / Qu’est ce que les métavers ?
Les métavers sont des mondes virtuels numériques persistants. Ils n’existent que dans une version numérique dans laquelle on s’immerge par le biais d’un avatar. Ils sont persistants parce qu’ils continuent de fonctionner et d’évoluer même quand on en sort.
C’est la contraction du mot grec méta (« après, au-delà ») et univers., un terme apparu dans le roman de science-fiction, de Neal Stephenson, Snow Crash, sorti en 1992.
Les premiers sont apparus vers la fin des années 90, avec les évolutions technologiques dans l’univers du jeu vidéo. On peut citer Le Deuxième Monde lancé en 1997, par le studio grenoblois Cryo, d’après un projet d’Alain Le Diberder, ancien directeur des programmes multimédias de Canal+, ou encore Second Life, apparu en 2003. On en comptait près d’un millier au début des années 2010. L’idée n’est donc pas neuve.
Après une première ruée vers ces mondes virtuels, l’engouement est un peu retombé. Il subsistait 400 métavers en 2021 selon le chercheur François-Gabriel Roussel, du laboratoire Communication Information Médias de l’université Paris-3 Sorbonne-Nouvelle, cité par méta-média
2/ Pourquoi un tel buzz autour du métavers ?
L’annonce le 18 octobre 2021 par Mark Zuckerberg qu’il rebaptisait Facebook en Meta et qu’il allait recruter 10 000 personnes pour mettre toutes les forces de l’entreprise dans le développement d’un métavers a ramené les projecteurs sur ce concept de monde virtuel. Sur sa page Facebook, il expliquait : « quand j’ai commencé Facebook, nous tapions des textes sur les sites internet. Quand nous avons été dotés de téléphones avec des appareils photo, internet est devenu plus visuel et mobile. (…) Nous sommes passés d’ordinateurs de bureau au web, puis au mobile ; des textes aux photos, puis aux vidéos. (…) La prochaine plateforme sera plus immersive – un internet vivant et incarné, où vous vivez l’expérience, sans vous contenter de seulement la regarder. Nous appelons ça le métavers, et cela concerne chaque produit que nous fabriquons ».
Depuis, Emmanuel Macron en a fait l’un des trois points de son programme électoral pour « La culture », appelant à la création de métavers européens. Présentant son programme à la presse le 17 mars, il déclaré : « c‘est un sujet clé pour la création, mais pour la capacité à permettre à tous nos créateurs, quel que soit d’ailleurs le champ culturel qui est le leur ou leur champ d’activité, de créer et de ne pas dépendre d’acteurs et d’agrégateurs anglo-saxons ou chinois, qui pourront totalement contourner sinon les règles aujourd’hui de respect des droits d’auteurs et du droit voisin. »
Le secrétaire d’Etat au numérique Cédric O s’est fendu par la suite d’une clarification expliquant qu’il s’agirait plutôt d’aider au développement de briques technologiques clés, comme les moteurs 3D temps réel.
Mais si le buzz a si bien pris, c’est que le contexte y était déjà favorable.
1/ Le métavers prend son essor au croisement de trois évolutions :
– l’accélération du développement des technologies immersives, de la réalité virtuelle ou de la réalité augmentée (dans lesquelles Facebook avait déjà pris pied avec le rachat dès 2014 d’Oculus et ses casques de réalité virtuelles ; l’entreprise a été rebaptisée récemment Meta Quest).
– l’essor de la blockchain qui permet de décentraliser les échanges et les transactions. Avec elle, se sont développées les cryptomonnaies et les NFT, sorte de certificat d’authentification d’un bien virtuel (Lire notre article de décembre 2021 : L’économie culturelle à l’ère des NFT, de la blockchain et du métavers)
– l’avènement d’une nouvelle ère du web : le web 3.0.
Source : méta- médias #20 France Télévisions
2/ la pandémie et les confinements ont favorisé l’essor des interactions et échanges virtuels dans toutes les activités humaines, tant dans la vie personnelle que professionnelle. Elle a également renforcé l’économie des créateurs numériques, assure Kati Bremme, Innovation Manager de France Télévisions, intervenant à Cap Digital le 22 mars.
3/ Le métavers est-il l’internet du futur ?
La notion de métavers est souvent associée à celle d’une nouvelle ère du web, le web 3.0. Mais le web 3.0 est une tendance plus large qui ne se résume pas au Métavers. Dans le web 3.0, l’utilisateur reprend le contrôle, comme un retour à l’utopie des origines du web, dévoyée par la montée en puissance puis l’hégémonie des GAFAM.
Le Cahier de tendances meta-media de France Télévisions modélise ainsi les trois âges du web :
Source : méta- médias #20 France Télévisions
4/ Un métavers ou des métavers ?
Faut-il parler du métavers au singulier ou au pluriel ?
Sans doute, dans l’esprit de Mark Zuckerberg, son métayers Horizon a-t-il vocation à embrasser tous les mondes virtuels, tout comme Facebook avait vocation à faire de toute l’humanité une communauté d’amis.
Mais on est loin d’en être là, ni d’aller vers ce métavers unique. D’autres grands métavers ont émergé aux côtés d’Horizon. Decentraland est une plate-forme de réalité virtuelle 3D décentralisée qui se compose de parcelles de terrain, vendues sous forme de NFT, et qui peuvent être achetées en utilisant la cryptomonnaie MANA. Cette dernière repose sur la blockchain Ethereum. Decentraland a été ouvert au public en février 2020 et est supervisée par une fondation à but non lucratif. Lors du lancement de sa version beta en 2017, les parcelles valaient autour de 20 dollars. En 2021, une parcelle aurait été vendue plus de 2 millions de dollars.
The Sandbox, métavers français qui figure parmi les mondes virtuels les plus populaires, est issu d’un jeu en 3D, lui aussi basé sur la blockchain Ethereum. On peut y acheter des parcelles numériques, comme l’a fait ces derniers jours la banque HSBC, y créer des biens. Chaque création (une maison, une boutique, un parc, un personnage…) peut ensuite être revendue sur une place de marché avec un certificat d’authenticité lié à la blockchain.
D’autres métavers sont issus de jeux vidéo populaires comme Fortnite et ses 350 millions de joueurs, édité par Epic Games ou Roblox (115 millions de – souvent très jeunes – joueurs). On voit aussi émerger des mini-métavers autour de l’univers de l’eSport.
Fidèle à son ADN B-to-B Microsoft investit dans le métavers d’entreprises pour recréer virtuellement les univers professionnels.
Face à cette profusion, la perspective d’un métavers unique sur la planète semble improbable. La question qui se pose alors est celle de l’interopérabilité tous ces mondes. Pourra-t-on passer d’un métavers à l’autre, avec son avatar ? Ou verra-t-on se recréer des silos propriétaires gouvernés par quelques géants comme en a généré le web 2.0 ?
5 / Quels divertissements dans les métavers ?
A priori, les univers virtuels offrent autant de possibilités d’activités que la vie réelle : travailler, faire des rencontres, du shopping, construire sa maison, suivre des cours, faire du tourisme…
Dans l’univers du divertissement, le jeu est bien sûr presque consubstantiel au métavers.
Dans un autre domaine, les premières réalisations concrètes ont notamment pris la forme de concerts virtuels. Le rappeur Travis Scott s’est ainsi produit en live sur Fornite en avril 2021. Il a été vu par 12,3 millions de joueurs lors de sa première diffusion et près de 28 millions après quatre rediffusions. Les joueurs pouvaient se procurer en ligne ses tenues, des objets…
Arte a organisé le 2 février 2022, un concert de Timothée Joly diffusé en direct sur Horizon de Meta et qu’on pouvait suivre (aux Etats-Unis seulement) en sautant, applaudissant, via son avatar.
Les utilisateurs de Fortnite ont également eu la possibilité d’assister au discours de Martin Luther King “I have dream”, dans le cadre du “March Through Time”, une collaboration entre “Fortnite” et le magazine Time.
La plateforme a organisé en février puis juillet 2021 un festival virtuel de courts métrages d’animation, Shortnite, où les participants pouvaient échanger tout en visionnant des films.
6 / Quelles opportunités pour les médias ?
Dans la liste des cas d’usage du métavers par les médias, établie par méta -media, ressort surtout l’utilisation des NFT comme nouvelle source de revenus. Ainsi CNN s’en sert pour monétiser ses archives : elle a lancé une plateforme sur laquelle elle revend, sous forme de NFT, des moments d’antenne historiques, comme la chute du mur de Berlin ou les élections présidentielles. Une nouvelle façon de monétiser ses archives.
La Fox a elle aussi créé sa plateforme de NFT, nommée MaskVerse qui « permet d’acheter, d’échanger ou de vendre des objets de collection numériques liés à l’émission The Mask Singer ». En août, la chaîne a participé à la levée de fonds de 100 millions de dollars de la plateforme qui fournit la technologie à son studio de production spécialisé en NFT. Par le biais de ce studio, baptisé « Blockchain Creative Labs », Fox a noué un partenariat avec la WWE, le gérant des droits télévisés du catch américain, afin de créer des NFT liés aux événements phare du « wrestling » rapporte le cahier meta-media.
Les marques elles, se ruent vers le metavers. Ces derniers jours, l’agence Mindoza (groupe HighCo) a encore lancé un « métannuaire » des « opérations de marques dans le métavers ». Parmi les 80 qui y sont recensés à ce jour, Le Printemps y présente un « virtual store » et y fait gagner des NFT, Heineken a lancé une bière virtuelle, la Silver, Coca Cola propose un happening de la chanteuse Ava Max, Colgate promeut le « Women’s Day »…
Si les cas d’usage restent néanmoins limités à ce stade pour les médias, les métavers et les technologies mises en œuvre ouvrent de nouveaux horizons aux médias en terme de création, de narration et de relation à l’audience. « Ce que n’ont finalement pas su offrir les plateformes sociales, les plateformes de gaming se proposent de le combler : l’engagement et l’interactivité, que les médias recherchent depuis longtemps pour se rapprocher de leurs publics » décrypte Kati Bremme, Innovation Manager de France Télévisions dans la revue meta-media.
La chaîne ITV a recréé dans Fortnite son jeu télévisé The Void, qui permet une nouvelle interaction avec le public et touche de nouvelles audiences. Ainsi, une nouvelle forme de divertissement, inspirée du jeu vidéo et plaçant l’interactivité en son centre, émerge-t-elle avec les metavers. Le patron d’une start up du secteur, cité par meta media, n’hésite pas à prédire que « le gaming remplacera la télévision ».
8 / Quand l’audiovisuel aura-t-il basculé dans le métavers ?
Pour les responsables Innovations des groupes audiovisuels interrogés par NPA, le métavers est un sujet de veille et de réflexion, mais qui ne se déploiera pas dans leurs métiers avant plusieurs années.
Arnaud Mopin, directeur de l’innovation de TF1, évoque un horizon de 5 à 10 ans et Kati Bremme (France Télévisions) apparait réservée sur la prédiction du cabinet Gartner, selon laquelle un quart des Français passera une heure par jour dans le métavers dès 2026.
Aujourd’hui, le métavers Horizon de Facebook n’est encore accessible que depuis les Etats-Unis. Et si le public le plus familier de ces mondes virtuels est jeune, rappelons que l’accès aux cryptomonnaies, utiles dans un métavers, est en principe très limité pour les mineurs.
Mais quelle que soit la vitesse de la mutation, et le taux d’adoption, il est probable que la croissance des expériences virtuelles plutôt qu’en « présentiel » se poursuivra, facilitée par un environnement technologique – généralisation du très haut débit, montée en performance des micro-processeurs… – qui garantit une expérience optimale, et stimulée par les effets de traine de la pandémie en termes d’évolution des usages numériques.
9 / Quels risques ? Quelle régulation et quelle gouvernance ?
S’ils sont largement adoptés, les métavers sont porteurs des mêmes risques que lors de l’émergence des réseaux sociaux et du web2.0.
Qui pour réguler ce nouveau far west ? Pour éviter la domination de quelques géants sur ces nouveaux univers ? Comment partager équitablement la valeur ?
Quand la réalité se fait virtuelle, les risques de fausses informations, de deep fake, ne sont-ils pas accrus ? Comment contrôler notre identité numérique ? ….
A peine résolues s’agissant du Web 2.0, les mêmes questions émergent déjà pour fixer le cadre de son successeur.
10 / Quel modèle économique ?
Ces mondes virtuels où s’échangent des biens numériques, payés en certificats d’authenticité et en cryptomonnaies, ont-ils un lien avec l’économie réelle ? Les entreprises en tirent-elles des profits ? Quand Mark Zuckerberg annonce 10 milliards de dollars d’investissement et la création de 10 000 emplois pour son métavers, il entrevoit sans aucun doute, les revenus qu’il généreront pour les rémunérer.
Selon les estimations des analystes de Grand View Research, le marché des métavers va connaître une croissance annuelle moyenne de 39,4 % de 2022 à 2030. Et pourrait alors générer 615 milliards d’euros de recettes. Une autre estimation d’Emergen Research table sur 828 milliards de dollars en 2028, contre 47,7 milliards en 2020. Ces prévisions cumulent les ventes de matériels et logiciels nécessaires tant à la production d’univers virtuels, qu’à leur visualisation (TV, mobiles…).
A l’intérieur des plateformes virtuelles elles-mêmes, la répartition des revenus sur la chaîne de valeur entre créateurs, utilisateurs, acheteurs et sociétés à l’initiative du métavers reste à définir.