L'édito de Philippe Bailly

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Avec Prime Video, Amazon se positionne comme un agrégateur de bouquets OTT

Amazon a officiellement lancé le 8 décembre son Streaming Partners Program pour l’instant limité au territoire US. L’objectif est de distribuer au sein d’Amazon Prime Video des services de vidéo à la demande par abonnement édités par des tiers.

Un programme qui répond à une demande croissante des utilisateurs…

aAlors qu’Amazon Video était jusqu’à présent un service de SVoD classique, proposant des contenus dont les droits d’exploitation ont été acquis par Amazon pour une durée limitée ainsi que des contenus originaux produits par Amazon, le Streaming Partners Program permet à la firme de Seattle de tester un nouveau modèle. Les abonnés Prime[1] (99$ par an) peuvent désormais s’abonner directement à de nouveaux services de vidéo à la demande au sein de l’interface Amazon Video. Une vingtaine de partenaires sont d’ores et déjà concernés. Le principal est Showtime (groupe CBS), accessible pour 8.99$/mois (premier mois gratuit). Mais il ne s’agit pas d’une exclusivité puisque les contenus à la demande de la chaîne sont déjà disponibles en OTT via des applications dédiées et surtout via le service de SVoD Hulu et le bouquet OTT de Sony, PlayStation Vue (la mécanique est identique à celle d’Amazon, avec un abonnement optionnel pour un tarif identique). Starz a également rejoint le programme, en exclusivité cette fois puisqu’il s’agit d’une première pour la chaîne câblée du groupe Liberty Media, très frileuse dans sa distribution en ligne. Les autres partenaires sont beaucoup plus modestes[2] et mélangent des services existants et d’autres spécialement édités pour Amazon Video. Dans tous les cas il s’agit de services de niche qui permettent à Amazon de développer un nouveau système de bouquet OTT avec des contenus très spécialisés sur lesquels il n’a pas besoin de se positionner directement comme acquéreur de droits. Il ne s’agit en aucun cas de services capables de servir de produits d’appel pour Amazon Video. Le modèle économique est classique avec un partage des revenus entre Amazon et les éditeurs sur les abonnements souscrits via le nouveau programme. Les clés de répartition ne sont pas communiquées.

En intégrant totalement les nouveaux services à Amazon Video, le géant du Web apporte une expérience utilisateur unifiée qui répond incontestablement à un besoin majeur des usagers[3] dans un nouvel univers OTT, plus fragmenté que jamais. C’est une promesse forte pour les abonnés de pouvoir retrouver tous leurs contenus OTT sous un seul abonnement et de pouvoir bénéficier de nouveaux services à forte valeur ajoutée, comme un moteur de recommandation cross-contenus, un moteur de recherche horizontal sur plusieurs services de SVoD, ou un espace personnel (la Wichlist) permettant de constituer sa bibliothèque de programmes.

Cette unification de l’expérience est rendue possible car Amazon se positionne pour ses partenaires comme un prestataire complet et pas uniquement un agrégateur de services. Amazon assume le marketing et le recrutement, assume également le service clientèle, gère directement les abonnements et la plate-forme de paiement en ligne ; et de manière tout aussi importante, Amazon s’occupe de l’ensemble de l’infrastructure technologique, ingestion des contenus, encodage, diffusion multi-écrans ou encore qualité du streaming. C’est à la fois la force et la faiblesse du projet.

… mais qui ne pourra convaincre qu’une catégorie d’éditeurs

La philosophie du programme a en effet de quoi séduire certains éditeurs, les plus modestes, qui peinent à se frayer un chemin sur l’OTT tant en termes de visibilité que de recrutement d’abonnés. De fait, la puissance d’Amazon Video, qui rassemble désormais près de 50 millions d’abonnés aux Etats-Unis[4] et s’affirme trimestre après trimestre comme le deuxième service de SVoD le plus important derrière Netflix, est un atout considérable. Car, malgré un engouement de l’ensemble des éditeurs de service et des producteurs de contenus pour le modèle de l’auto distribution sur l’internet ouvert, celui-ci reste extrêmement compliqué. Le succès de cette stratégie semble pour l’instant réservé aux plus grands fournisseurs de contenus, avec une marque média suffisamment forte pour déclencher un abonnement et avec un volume et une qualité de catalogue suffisants pour fidéliser les abonnés. Pour les autres, les difficultés l’emportent sur les avantages : investissements marketing importants nécessaires pour la visibilité des contenus ; coûts importants liés à l’internalisation de la relation client, à la maîtrise de la facturation, à la gestion d’une plate-forme OTT ; in fine, une forte incertitude du modèle économique puisque les revenus générés par les abonnements ne permettent pas de compenser ceux liés à la vente des droits aux médias traditionnels et/ou aux nouvelles plates-formes numériques. Dans ces conditions, le modèle d’Amazon représente bien une opportunité pour ces éditeurs modestes.

A contrario, le Streaming Partners Program a de quoi inquiéter les marques médias les plus puissantes, d’ailleurs absentes, à l’exception de Showtime qui doit être considérée comme un cas particulier, Amazon n’étant qu’un des rouages de la nouvelle stratégie d’hyper distribution. Pour les grands Networks ou chaînes premium les inconvénients sont de taille. Certes, contrairement à Netflix[5], la nouvelle offre d’Amazon ne conduit pas à une disparition complète de l’éditeur derrière ses contenus. Celui-ci reste identifié au sein d’une section dédiée au référencement des partenaires du programmes (Add-on Subscriptions). Mais l’exposition est très modeste et la section ne constitue pas la porte d’entrée principale du service.

En termes d’expérience utilisateur, l’usager se trouve bien au sein d’Amazon Prime et pas sur une plate-forme de référencement des applications des tiers comme dans le cas d’Apple TV, Roku ou Fire TV. Ce sont les contenus qui priment et le service est totalement édité par Amazon qui choisit lesquels mettre en avant, ou lesquels recommander. Surtout, en plus de perdre le contrôle de l’expérience utilisateur, le partenaire perd la relation directe avec le client final. Il n’y a plus d’exploitation possible du CRM et si l’abonné résilie Amazon Prime, le tiers n’aura pas de possibilité d’exploiter les données clients pour essayer de récupérer l’abonné. Il n’y a pas non plus d’exploitation possible des données de consommation, désormais contrôlées par Amazon et qui s’en servira en fonction de ses propres intérêts. Cette perte de la relation directe avec le consommateur final est un non-sens pour nombre d’éditeurs engagés dans une stratégie de développement en OTT. Les opportunités de l’auto distribution sont en effet directement liées à la création d’une relation directe avec le public, à la constitution de communautés autour des contenus, à la gestion des données des consommateurs pour mieux comprendre leurs attentes et réduire les risques dans la production des contenus, pour expérimenter de nouvelles offres plus ciblées et individualisées… Autant de paramètres qui disparaissent avec le Streaming Partners Program d’Amazon qui semble bien réservé à une catégorie restreinte d’éditeurs.

Un repositionnement lourd de sens pour tous les acteurs de la distribution

Si le développement du Streaming Partners Program risque donc de se heurter aux intérêts des gros éditeurs, son lancement n’en reste pas moins une décision importante. Alors que le paysage OTT est de plus en plus complexe et atomisé, la nécessité de voir émerger de nouveaux agrégateurs est de plus en plus criante. Tous les grands acteurs de l’écosystème se positionnent, chacun tentant de capitaliser sur ses atouts pour répondre de manière différente au défi. Ceux d’Amazon sont importants puisque la firme de Seattle possède une base d’utilisateurs importante, une maitrise totale de la plate-forme commerciale pour gérer les abonnements ainsi qu’une infrastructure de pointe, via Amazon Web Service et ses récentes acquisitions (Elemental) pour maîtriser les technologies de diffusion en streaming et de distribution multi-écrans.

En ouvrant à des tiers son service Amazon Video, le géant du e-commerce fait un pas de côté, tentant de se démarquer du concurrent Netflix. Ce dernier, engagé dans un processus rapide de transformation en une chaîne premium OTT grâce à des investissements massifs dans la production originale, place la barre toujours plus haute. Amazon, sans renoncer à ses propres investissements dans les contenus, choisit la voie de l’agrégation et de la distribution de bouquets pour différencier son produit. La stratégie est totalement en phase avec la nature première de son activité puisqu’Amazon a construit son succès dans le e-commerce sur l’exhaustivité des références disponibles et sur l’ouverture de la plate-forme à des vendeurs tiers. La concurrence est dès lors de plus en plus frontale avec les autres plates-formes d’agrégation à commencer par Android TV, Apple TV ou Roku. Si ces dernières restent sur des interfaces centrées autour des applications des éditeurs, les innovations se multiplient (moteur de recherche de l’Apple TV 4, Roku Feed…) pour casser l’expérience en silos et, comme dans le cas d’Amazon Video se rapprocher d’une expérience centrée sur les contenus eux-mêmes.

Enfin, le repositionnement d’Amazon conduit à illustrer, en creux, le retard pris par les opérateurs traditionnels de TV payante aux Etats-Unis alors que ces derniers devraient pourtant se positionner comme les agrégateurs naturels des nouveaux bouquets OTT, empêchant ainsi la montée en puissance de leurs concurrents sur ce segment de marché. Certes, leurs plates-formes se sont progressivement ouvertes à Netflix et dans une moindre mesure Hulu. Mais le mouvement est modeste et pas à la hauteur du foisonnement actuel et de la nécessaire réorganisation des offres. La coopération quasi exclusive des opérateurs et des éditeurs autour de la TV Everywhere, censée protégér l’ensemble du modèle économique de la télévision payante, des bundles jusqu’aux droits de retransmission, à freiner l’adaptation au nouvel environnement.

Le public américain a lui fait son choix, se tournant massivement vers les services OTT alors que la TVE n’en finit plus d’attendre son décollage. Une expérience à méditer pour les opérateurs européens qui bénéficient de structures de marchés et de choix technologiques plus propices pour ouvrir leurs plates-formes et défendre leur position d’agrégateur.

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[1] Prime Video est réservé aux abonnés Amazon Prime et est aujourd’hui uniquement proposé dans cinq pays, Allemagne, Autriche, Etats-Unis, Japon et Royaume-Uni.

[2] La liste complète des partenaires : Showtime, Starz, A+E Network (Lifetime Movie Club), AMC (Shudder et SundanceNow Doc Club), Gaia, RLJ Entertainment (Acorn TV, Urban Movie Channel, Acacia TV), DramaFever (DramaFever Instant), Tribeca Short List, Cinedigm (Dove Channel, Docurama, CONtv), Smithsonian (Smithsonian Earth), IndieFlix (IndieFlix Shorts), Curiosity Stream, Qello, FlixFling (Cinefest, Nature Vision, Warriors and Gangsters, Dox, Monsters and Nightmares), BroadbandTV (Hooplakidz Plus), DEFY Media (ScreenJunkies Plus), Gravitas (Film Forum, Daring Docs, Fear Factory), et Ring TV Boxing

[3] Une étude américaine du cabinet Altman Vilandrie & Company réalisée en Novembre 2015 auprès de 3400 utilisateurs de services OTT montrait par exemple que 86% des personnes interrogées souhaitait une application unique regroupant l’ensemble de leurs contenus

[4] Amazon ne communique pas de chiffres officiels. En juillet 2015, l’institut Consumer Intelligence Research Partners estimait le nombre d’abonnés Prime à 44M aux Etats-Unis, un chiffre porté à 50M en novembre par RBC Capital Markets (et de 60 à 80M globalement).

[5] Nonobstant de rares exceptions sur les séries les plus fortes d’ABC pour lesquelles l’éditeur est identifié.

 

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