Crunchyroll, service américain de SVoD spécialisé dans l’animation japonaise, vient de dépasser la barre du million d’abonnés. L’engouement du public illustre le succès croissant des services de SVoD très spécialisés, qui réussissent à trouver une place à côté des principaux acteurs généralistes.
Crunchyroll, l’expertise à l’origine du succès
Crunchyroll est à l’origine un site de partage de vidéo mais qui a su capitaliser sur une communauté de fans pour faire évoluer son modèle économique vers le payant. Le service spécialisé dans l’univers du manga et de l’animation japonaise a été fondé aux Etats-Unis en 2006 et s’est d’abord établi aux frontières de la légalité en laissant sa communauté d’utilisateurs partager un nombre très important de vidéo illégales mais inédites et sous-titrées bénévolement par ses membres les plus actifs. Le site a progressivement attiré une communauté de passionnés et a commencé à monétiser ses vidéos grâce à la publicité tout en supprimant progressivement les contenus illégaux pour les remplacer par un important catalogue négocié avec les ayants droit. Finalement, Crunchyroll a opté à partir de 2009 pour un modèle freemium en proposant d’une part un accès gratuit restreint et avec de la publicité et d’autre part une offre par abonnement sans publicité donnant accès à l’ensemble du catalogue y compris des contenus en diffusion simultanée avec le Japon. L’abonnement est proposé à partir de 7$ aux Etats-Unis et de 4,99€ en France. Avec le lancement de son modèle freemium, le service s’est progressivement étendu à d’autres pays, d’abord en Amérique du Sud à partir de 2012 puis en Europe (dont la France) à partir de 2013. L’expansion de Crunchyroll a attiré l’attention de Chernin Group qui a racheté le service en 2013 pour 100 millions de dollars. Depuis avril 2014, Crunchyroll a été intégré à Otter Media, la joint-venture de Chernin Group et d’AT&T. Enfin, Crunchyroll est désormais distribué également par VRV, la plateforme d’Otter Media qui propose des formules d’abonnements croisés à différentes offres spécialisées.
Le succès du serice est aujourd’hui indéniable et Crunchyroll vient d’annoncer des chiffres très positifs tant pour son offre gratuite que son offre payante. Ainsi, Crunchyroll revendique désormais 20 millions d’utilisateurs enregistrés, dont les deux-tiers aux Etats-Unis, qui consomment 25 millions d’heures de contenus par mois. Cependant, c’est dans le payant que le succès du service est le plus notable. En effet, Crunchyroll vient d’annoncer que son nombre d’abonnés dans le monde venait de dépasser le million soit une hausse de 36% en un an.
Ce succès repose en partie sur un catalogue riche, de qualité et extrêmement spécialisé mais pas seulement. Ainsi, plus de 25 000 épisodes[1] de séries d’animation asiatiques sont disponibles sur la plate-forme dont certaines séries phares de la production japonaises comme L’Attaque des Titans ou Naruto. En outre, une des spécificités de Crunchyroll est de proposer un nombre importants de contenus une heure seulement après leur diffusion au Japon. Cette offre est particulièrement attractive pour les passionnés habitués à la consommation illégale pour pouvoir bénéficier de leurs contenus le plus rapidement possible. Pourtant le catalogue ne peut expliquer à lui seul le succès du service. En effet, les séries d’animation japonaise sont très largement distibuées tant de façon légale qu’illégale. Un grand nombre de services légaux généralistes proposent une offre conséquente de mangas. Netflix et Amazon Prime Vidéo proposent notamment plusieurs dizaines de séries de ce type. En outre, l’animation japonaise est historiquement largement distribuée de façon illégale via les communautés spécialisées qui ont émergé grâce à leur sous-titrage rapide et bénévole des contenus tout juste diffusés[2]. Si Crunchyroll a pû se développer malgré un marché d’abondance c’est notamment grâce à la solidité de la communauté qui anime le service. Le site propose un grand nombre de forums bien animés qui ont su rassembler très tôt une part importante de la communauté des passionnés d’anime et de culture japonaise[3]. En outre, le site dispose d’une partie éditorialisée avec une équipe de rédacteurs qui proposent un suivi régulier de l’actualité du secteur. Le site dispose également d’une communauté très étendue et engagée sur les réseaux sociaux sur laquelle il s’appuie largement. Enfin, Crunchyroll s’associe régulièrement aux nombreux évènements qui attirent les passionés de mangas. Autant d’éléments qui ont permis de faciliter le développement de son offre payante. D’ailleurs, Crunchyroll continue de lancer de nouveaux outils pour renforcer sa communauté ; à partir du mois d’avril il va ainsi organiser des nuits de l’animation japonaise dans plusieurs grandes villes américaines.
Le succès de Crunchyroll démontre que le modèle de la SVoD de niche est viable et que les services spécialisés constituent une alternative intéressante pour la SVoD dans un contexte de concurrence très forte sur le segment généraliste. Certaines communautés ou publics de niche sont disposés à passer au payant pour bénéficier de contenus très pointus. Pourtant, il n’est pas certains que le modèle de Crunchyroll puisse être généralisé à l’ensemble des secteurs de niche. La communauté des passionés de mangas et d’anime est en effet très spécifique et marquée par la très grande implication de ses membres.
L’essor des services de niche
Le succès de Crunchyroll n’est pourtant pas une exception. En effet, les deux services américains de SVoD spécialisés WWE Network et Eros Now on-Demand sont également des exemples de la réussite des services de niche et ils avaient déjà dépassé la barre du million d’abonnés avant Crunchyroll. WWE Networks est un service de vidéo à la demande spécialisé dans les compétitions de catch et il est édité directement par la World Wrestling Entertainment qui organise la plupart des compétitions majeures de cette discipline. Le service est accessible seulement par abonnement (9,99$ par mois) et propose la majorité des compétitions et évènements WWE à la demande. Eros Now on-Demand de son côté est un service à la demande par abonnement dédié aux Bollywood avec un catalogue de plus de 5 000 films indiens. Dans les deux cas, ces services se focalisent sur un type de contenus très spécifiques et rassemblent une communauté importante de passionnés.
Au-delà de ces services très populaires, une nébuleuse de services SVoD de niche s’est développée et recouvre désormais une grande variété de thématiques. Tous ne sont évidemment pas couronnés de succès mais un nombre croissant d’entre-eux commencent à dégager des revenus conséquents. Ainsi, toujours aux Etats-Unis les services The Blaze TV (actualités et talk-shows conservateurs), Accorn TV (séries britanniques) ou Feeln (téléfilms romantiques et « feel-good ») ont dégagé des revenus supérieurs à 15 millions de dollars dès 2015. A l’international, des services de niche ont également sû prospérer. C’est le cas du service Drama Fever spécialisé dans les soaps coréens et qui revendique 300 000 utilisateurs actifs quotidiens, de MUBI le service destiné aux cinéphiles qui revendique plus de 100 000 abonnés et est désormais valorisé à plus de 125 millions d’euros, ou dans une moindre mesure du service Afrostream spécialisé dans la culture « afro » qui a sû multiplier les levées de fonds. Dans l’ensemble on peut distinguer deux vecteurs de succès pour ces offres de niches. Soit elles ont réussi à établir leur expertise en éditorialisant avec soin leur catalogue (MUBI, Crunchyroll) ou en proposant des contenus introuvables ailleurs (WWE Networks, Drama Fever), soit ils ont sû établir une proximité avec un certain type de consommateur en réussissant à structurer une base de passionnés (Crunchyroll, WWE Networks) ou en ciblant directement des minorités ou communautés culturelles existantes (Eros Now on-Demand, Afrostream).
Le développement des services de SVoD spécialisés constitue en outre une opportunité pour certains acteurs. En effet, le marché de la SVoD généraliste nécessite désormais des investissements très lourds. Les grands services sont désormais lancés dans une course coûteuse aux contenus exclusifs qui peut rendre hasardeuse l’entrée sur le marché de nouveaux acteurs. D’ailleurs, la compétition est rude pour les acteurs déjà existants et un nombre croissant de services généralistes jettent l’éponge. En France, Jook a dû fermer son service en 2015, Watchever le sien en Allemagne en 2016 et tout récemment au Canada le service Shomi (Roger Communication/Shaw Communications) a baissé le rideau. Au contraire, il existe encore des opportunités sur le segment des services plus spécialisés. En effet, le coût croissant des productions originales et des acquisitions peut conduire les services généralistes à se concentrer sur un plus petit nombre de contenus attractifs et donc à terme à délaisser les contenus plus spécialisés. Le développement de services de niches devra donc s’effectuer en complémentarité avec les services généralistes et non pas en concurrence frontale. En outre, la dimension spécialisée des services ne laisse pas de place pour le développement d’un grand nombre d’acteurs par niche. Il y aura sans doute un avantage aux primo-entrants.
Le potentiel n’a d’ailleurs pas échappé aux acteurs majeurs de l’industrie culturelle qui ont multiplié les investissements en 2016 dans des services spécialisés recouvrant des thématiques très variées. Ainsi, en janvier 2016, NBC-Universal a lancé Seeso, un service spécialisé dans la comédie. En février 2016, Comcast a lancé Yoga Channel un service dédié aux vidéos d’exercices de yoga et de fitness. En mars 2016, Warner Bros. a racheté le service spécialisé dans la fiction coréenne Drama Fever. En mars toujours, NBC-Universal a lancé Hayu, un autre nouveau service SVoD, cette fois dédié à la télé-réalité. En octobre, Sony a investi dans le service spécialisé sur la jeunesse Hopster. En novembre, Turner a lancé FilmStruck son service dédié aux films classiques et rares. Enfin en janvier 2017, Amazon Prime a lancé Anime Strike, son service stand-alone dédié à l’animation japonaise.
Principaux lancements de service SVoD de niche au cours des 12 derniers mois
[1] Il s’agit du volume d’épisodes disponibles aux Etats-Unis, sur les autres territoires y compris la France, ce volume est plus faible
[2] Si en France le rôle du sous-titrage bénévole dans la structuration du piratage touche à peu près tout type de contenus, il est plus spécifique à l’animation japonaise aux Etats-Unis puisqu’elle constitue un des rares types de contenus en langue étrangère consommée massivement par des anglophones.
[3] Ce cas est spécifique aux Etats-Unis où le site est plus ancien et a pu se développer en même temps que l’émergence d’un certain engouement pour les productions japonaises. En France, si le site est populaire, il ne bénéficie pas de la même aura puisque le phénomène des mangas en France est bien antérieur au lancement du site et il existe de nombreuses autres plateformes spécialisées dans la culture japonaise.