(Première partie : le service public audiovisuel et le fonctionnement interne de l’ARCOM et du CNC. La deuxième partie relative à l’avenir du soutien financier et de l’encadrement de l’audiovisuel et du cinéma sera publiée la semaine prochaine.)
Le résultat des élections législatives du 30 juin et 7 juillet est difficile à anticiper. Un, voire des, nouveaux partis politiques pourraient parvenir à une majorité absolue (289 députés) à l’Assemblée nationale ce qui conduirait à la mise en place d’un nouveau Gouvernement puisque, dans notre régime politique (parlementaire sur ce point), la couleur politique de l’exécutif est déterminée par celle de l’Assemblée nationale. A la suite des élections, la France pourrait connaître une période de cohabitation entre le Président de la République d’un côté et le Gouvernement soutenu par l’Assemblée nationale de l’autre. Il n’est pas exclu non plus que plusieurs partis trouvent un accord pour soutenir le Président de la République et assurer une continuité relative de la politique mise en place jusqu’ici.
Dans tous les cas, il peut être intéressant d’anticiper la politique à venir en matière d’audiovisuel et de cinéma après les élections législatives. Qui propose quoi ? Qui peut faire quoi ? Quelles limites peuvent être opposées par la Constitution ou le droit international aux propositions les plus extrêmes ? Quelles sont les prochaines échéances, notamment en matière de nomination (ARCOM, CNC) ? La continuité et le bon fonctionnement de notre exception culturelle en matière d’audiovisuel et de cinéma dépendent des réponses à ces questions. Au vu de l’importance de ces enjeux, un état des lieux s’impose.
Le Rassemblement National a beaucoup communiqué ces jours derniers sur l’avenir de France Télévisions et de Radio France. Ce parti politique a annoncé vouloir privatiser ces entreprises chargées par la loi de 1986 sur la liberté de communication d’assurer une partie du service public audiovisuel français. France Télévisions et Radio France sont déjà organisées sous la forme de sociétés commerciales dont le capital social appartient à l’Etat. Si l’Etat en est l’actionnaire unique, il ne nomme pas leurs présidents. L’ARCOM, qui est une autorité publique indépendante (l’autorité n’est pas sous le contrôle hiérarchique du Gouvernement qui ne peut lui donner d’instruction) en a la responsabilité et peut également révoquer les dirigeants qu’elle a nommés.
Privatiser France Télévisions et Radio France signifie qu’un transfert du contrôle de ces entreprises publiques aurait lieu : une majorité de capital social serait ainsi vendue par l’Etat au secteur privé. L’entreprise cesserait alors d’être publique comme ce fut le cas par le passé pour GDF, France Télécom, ou TF1 en 1987. Rappelons qu’un tel transfert de propriété ne peut être effectué que par la loi, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel en 1986.
Le maintien des missions de service public apparait très théorique
La privatisation ne signifie pas pour autant la fin de toute relation avec l’Etat. Ce dernier peut imposer à l’acquéreur, en en faisant une condition de la transaction, de reprendre les missions de service public de l’entreprise. Ce système de délégation de gestion de missions de service public à une personne privée non contrôlée par l’Etat est très fréquent. La délégation s’effectue généralement par la voie contractuelle et l’Etat est chargé de veiller à ce que les missions que la société gère pour lui sont correctement remplies.
En l’état actuel du droit, la loi de 1986 prévoit que les gestionnaires de France Télévisions et de Radio France sont chargés de missions de service public. La loi de 1986 en dresse une liste à l’article 43 que précisent les cahiers des charges des sociétés :
- « Elles présentent une offre diversifiée de programmes en modes analogique et numérique dans les domaines de l’information, de la culture, de la connaissance, du divertissement et du sport.
- Elles favorisent le débat démocratique, les échanges entre les différentes parties de la population ainsi que l’insertion sociale et la citoyenneté.
- Elles mettent en œuvre des actions en faveur de la cohésion sociale, de la diversité culturelle, de la lutte contre les discriminations et des droits des femmes. Elles s’attachent notamment à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes et à lutter contre les préjugés sexistes, les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple ainsi qu’à assurer une meilleure représentation de la diversité de la société française, notamment d’outre-mer.
- Elles proposent une programmation reflétant la diversité de la société française.
- Elles assurent la promotion de la langue française et, le cas échéant, des langues régionales et mettent en valeur la diversité du patrimoine culturel et linguistique de la France.
- Elles concourent au développement et à la diffusion de la création intellectuelle et artistique et des connaissances civiques, économiques, sociales, scientifiques et techniques ainsi qu’à l’éducation à l’audiovisuel et aux médias.
- Elles favorisent l’apprentissage des langues étrangères. Elles participent à l’éducation à l’environnement et au développement durable. Elles assurent une mission d’information sur la santé et la sexualité.
- Elles favorisent, par des dispositifs adaptés, l’accès des personnes sourdes et malentendantes aux programmes qu’elles diffusent.
- Elles assurent l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information ainsi que l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans le respect du principe d’égalité de traitement et des recommandations de l’ARCOM. »
France Télévisions et Radio France pourraient théoriquement être cédées sans que ces missions soient réduites ou modifiées, mais il est plus probable qu’elles soient réduites au strict nécessaire en accompagnement de la privatisation et afin d’en faciliter la réalisation, de la même façon qu’on n’imagine pas l’ARCOM rester en charge de nommer leurs présidents.
Celles qui seront – éventuellement – maintenues devront faire l’objet d’une compensation financière de la part de l’Etat, réduisant l’économie budgétaire sur laquelle le RN a annoncé tabler pour contribuer à l’assainissement des finances publiques.
Du régime du cahier des charges à l’encadrement par les conventions
Une fois privatisées, les ex-services de France Télévision et de Radio France resteront en cas de privatisation soumis aux nombreuses obligations posées par la loi, et des conventions à signer avec l’ARCOM se substitueront aux actuels cahiers des charges. La disparition du service public audiovisuel n’impliquerait donc pas que les services privatisés soient totalement libres de leurs décisions en matière de diffusion et d’investissement dans la production, à loi de 1986 inchangée en tout cas.
En matière de télévision, la directive SMA, la loi de 1986, ses décrets d’application et les décisions de l’ARCOM imposent aux chaînes (et aux SMAD) des obligations importantes en termes d’investissement dans la production française et européenne, de quotas de diffusion d’œuvres françaises et européennes, de protection des mineurs, de déontologie des programmes, de pluralisme, d’encadrement de la publicité ou d’accessibilité des programmes.
Une mise réussie sur le marché supposerait, en revanche, que soient supprimées les limitations posées par la réforme de 2009 en matière de diffusion de publicité par France Télévisions (interdiction de la publicité commerciale entre 20 heures et 6 heures sur les antennes nationales).
La tentation d’un alignement sur les termes de la directive SMA ? Dans le cadre d’une réforme plus radicale du cadre applicable à l’audiovisuel, une nouvelle majorité pourrait être tentée de revenir sur le « mieux-disant » que les versions successives de la loi de 1986 ont organisé, par rapport à la Directive Télévision sans frontière et à la directive SMA qui lui a succédé. En matière de quotas de diffusion, la France impose actuellement aux chaînes de diffuser 60 % d’œuvres européennes dont 40 % d’œuvres de langue française là où la directive SMA n’impose que 50 % d’œuvre européenne minimum pour les chaînes et 30 % pour les SMAD. De même, en matière d’obligation d’investissement des chaînes et des SMAD, la directive SMA n’impose rien et laisse simplement la possibilité aux pays qui le désirent de mettre en place de telles obligations. Sans même modifier la loi de 196, une majorité RN pourrait s’aligner sur les seuils de la directive, ou en tout cas réduire les seuils posés en droit interne (comme a pu le faire récemment Mme Meloni en Italie) en modifiant les trois « décrets production » de 2021. |
S’agissant des radios, la logique est la même : leur activité est très encadrée par les textes d’application générale (déontologie, quotas de diffusion, publicité…), et une privatisation de Radio France n’entrainerait pas une totale liberté pour ces stations dont l’activité sera quoi qu’il arrive toujours encadrée par la loi, des règlements et l’ARCOM (la directive SMA n’encadre pas les activités radiophoniques). Mais, comme France Télévisions, elles ne seraient plus limitées en matière de diffusion de la publicité comme elles le sont actuellement.
Pas d’obstacle avéré à la privatisation dans la Constitution ou dans le droit européen
La question de savoir si des sources de droit supérieures à la loi (Constitution, droit international) peuvent s’opposer à une privatisation et à une disparition des missions de service public dans le domaine de l’audiovisuel français peut se poser. Certains services publics sont garantis par la Constitution d’autre par la loi. Les premiers ne sont, selon le Conseil constitutionnel, pas privatisables à la différence des seconds.
Pour ce qui est de l’existence même du service public audiovisuel (peut-il être supprimé ?), seuls les services publics garantis par la Constitution (justice, police…) ne peuvent être supprimés sans modifier la Constitution.
En matière d’audiovisuel, la Constitution ne prévoit pas de limitation explicite. En cas de saisine contestant la constitutionnalité d’une loi de privatisation, le Conseil constitutionnel pourrait hypothétiquement fonder une éventuelle censure sur l’article 13 du préambule de la Constitution de 1946 qui a valeur constitutionnelle, et qui prévoit que : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ». Il s’agirait alors d’une décision interprétative comme le Conseil en prend parfois.
S’agissant de textes européens, ni la directive SMA, ni le règlement sur la liberté des médias n’imposent aux Etats membres d’organiser un service public audiovisuel d’une part ou une gestion publique de ces services d’autre part.
La directive laisse la possibilité aux pays qui le souhaitent de mettre en place un service public de l’audiovisuel et le règlement exige pour sa part un pluralisme de l’offre ainsi qu’une indépendance et une liberté éditoriale des médias, ce qui ne semble pas s’opposer à un projet de privatisation ou de réduction des missions de service public de l’audiovisuel en France.
L’UE pourrait toutefois se livrer à une interprétation du Protocole n°29 sur le système de radiodiffusion publique dans les États membres, annexé au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui précise que « la radiodiffusion de service public dans les États membres est directement liée aux besoins démocratiques, sociaux et culturels de chaque société ainsi qu’à la nécessité de préserver le pluralisme dans les médias ».
La majorité présidentielle maintient l’objectif d’une fusion ; le Front populaire insiste sur la réforme du financement S’agissant des autres principales forces politiques engagées dans la campagne des élections législatives, l’avenir de France Télévisions passera certainement par une fusion avec Radio France, l’INA et, peut-être France Médias Monde si la majorité actuelle réussit à gagner les élections. Le Président de la République a rappelé il y a quelques jours qu’il était attaché à cette réforme (« qui doit reprendre dans l’apaisement ») qui était en cours de discussion à l’Assemblée nationale avant la dissolution. Pour ce qui est du Nouveau Front Populaire, son programme se contente d’insister sur la « garantie de la pérennité d’un service public de l’audiovisuel en instaurant un financement durable, lisible, socialement juste et en garantissant son indépendance ». Un travail sur le financement du service public audiovisuel (assuré aujourd’hui par un transfert d’une fraction du rendement la TVA après la suppression de la redevance) est vraisemblablement à attendre de leur part en cas de victoire. Dans tous les cas, ce système de financement devra être actualisé par la loi d’ici 2025. |
Quel avenir pour le fonctionnement de l’ARCOM et du CNC ?
L’audiovisuel et le cinéma sont en France fortement encadrés par les pouvoirs publics. Au-delà du Gouvernement et du législateur, ces secteurs sont ainsi en relation avec différentes institutions publiques spécialisées dont le fonctionnement pourrait être impacté par une éventuelle alternance gouvernementale. On pense bien entendu au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) qui finance notamment les filières cinématographique et audiovisuelle, et à l’ARCOM qui contrôle et encadre l’activité des diffuseurs audiovisuels et numériques.
Ces deux institutions ne sont pas de même nature. Le CNC est un établissement public rattaché à l’Etat alors que l’ARCOM est une autorité publique indépendante. Comme nous l’avons signalé plus haut, une autorité publique indépendante est, comme son nom l’indique, indépendante des différents pouvoirs politiques de notre pays. Cette indépendance se caractérise essentiellement par deux éléments : une absence de lien hiérarchique entre le Gouvernement et ces institutions (le Gouvernement, ou tout autre pouvoir politique, ne peut pas leur donner d’instruction ou réformer leurs décisions) et une inamovibilité de ses membres (l’indépendance des membres des autorités est garantie par le fait qu’ils ne peuvent pas être démis de leurs fonctions s’ils prennent par exemple des décisions qui ne vont pas dans le sens de ce que souhaite le pouvoir politique en place). Ces garanties sont également offertes par la directive SMA en son article 30.
Cette organisation pourrait contrarier les désirs des partis politiques qui souhaiteraient avoir plus d’emprise sur ces régulateurs. L’ARCOM est par exemple en pleine procédure d’attribution de quinze canaux TNT. L’arrivée d’un nouveau Gouvernement ne pourra influer sur ses choix. Dans la même logique, l’ARCOM nomme les présidents et une partie des dirigeants de l’audiovisuel public (France TV, Radio France, France Médias Monde) L’ARCOM étant indépendante, le nouveau Gouvernement n’aura pas de prise sur les choix effectués par l’ARCOM, à cadre inchangé.
Mais cette indépendance a des limites car cette dernière n’est garantie que par une simple loi qui détermine les critères de fonctionnement de ces autorités (inamovibilité des membres, absence de pouvoir hiérarchique opposable à ses membres) et donne une liste des institutions concernées. Une modification de cette loi permettrait de faire sortir telle ou telle institution de la liste. Au surplus, la loi de 1986 devrait également être modifiée car l’ARCOM y est qualifiée d’autorité publique indépendante.
De telles modifications seraient-elles compatibles avec le droit de l’Union européenne ? L’indépendance de l’ARCOM est garantie par le droit de l’UE à travers la directive SMA qui précise en son article 30 que « chaque État membre désigne une ou plusieurs autorités ou organismes de régulation nationaux, ou les deux. Les États membres veillent à ce qu’ils soient juridiquement distincts des pouvoirs publics et fonctionnellement indépendants de leurs pouvoirs publics respectifs et de toute autre entité publique ou privée. » Il est ajouté que « les États membres veillent à ce que les autorités ou organismes de régulation nationaux exercent leurs pouvoirs de manière impartiale et transparente et dans le respect des objectifs de la présente directive ».
Si un Gouvernement avait pour idée de maintenir le caractère indépendant de l’ARCOM tout en vidant cette institution de sa substance, là-aussi la chose pourrait être contraire au droit de l’UE. En effet, l’article 7 du récent règlement de l’UE sur la liberté des médias précise en son article 7 que « les États membres veillent à ce que les autorités ou organismes de régulation nationaux disposent de ressources financières, humaines et techniques adéquates pour accomplir les tâches qui leur incombent en vertu du présent règlement », ce que précise également de façon plus large la directive SMA : « Les États membres veillent à ce que les autorités ou organismes de régulation nationaux disposent de ressources financières et humaines et de pouvoirs d’exécution adéquats pour exercer leurs fonctions de manière efficace ». Dans ces conditions, il semble difficile de revenir sur l’indépendance et les capacités d’action de l’ARCOM.
La solution la plus simple pour un Gouvernement d’alternance serait d’attendre que la majorité des membres de l’ARCOM soit modifiée, au sein des renouvellements, afin que son orientation se rapproche de celle du nouveau pouvoir politique (que l’on se souvienne des nominations effectuées par Donald Trump à la Cour suprême des Etats-Unis). Mais le calcul ne pourrait valoir, par exemple, en 2025, que pour le cas du membre nommé par le Président de l’Assemblée nationale[1], puisque la nomination du Président de l’Autorité revient au Président de la République et que celle de l’autre membre à remplacer échoira à celui du Sénat. Et les élections de présidentielles de 2027 pourraient le mettre en échec en cas de nouveau changement de majorité.
Le CNC est pour sa part un établissement public rattaché à l’Etat. Son organisation n’a rien de commun avec celle des autorités indépendantes comme l’ARCOM. Le CNC n’est pas indépendant du pouvoir politique, son Président est nommé (et révoqué) par le Président de la République (article L. 112-1 du Code du cinéma), sa bonne organisation, voire son existence, ne sont pas garanties par le droit de l’UE ou par toute autre source supérieure à la loi.
Une alternance pourrait donc ne pas affecter la nomination d’un nouveau président (ou le renouvellement du titulaire actuel), prévue en juillet 2025, puisque le choix du Président de la République n’est pas soumis à confirmation parlementaire à la différence de l’ARCOM.
Mais le fonctionnement du CNC est organisé par le Code du cinéma au travers des lois et des règlements qui peuvent être modifiés. Et s’agissant de ses ressources, là encore c’est la loi qui prévoit au sein du Code du cinéma et de l’image animée que les ressources procurées par différentes taxes sont affectées au CNC. Ces taxes pourraient être supprimées, réduites ou affectées à d’autres services de l’Etat.
[1] Sous réserve que son candidat ne se voir pas opposer un rejet à une majorité des 3/5ème des suffrages exprimés au sein des commissions en charge de la Culture de l’Assemblée nationale et du Sénat, comme le prévoit l’article 13 de la Constitution