L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) prend chaque année des dizaines de décisions individuelles visant à intervenir auprès d’éditeurs de services audiovisuels ne respectant pas les règles qui leur sont opposables. D’après son dernier rapport annuel (rapport pour 2023), l’institution a prononcé 16 mises en demeure et 6 sanctions en 2023. Les autres types d’intervention (v. infra) ne sont pas comptabilisés. Dans le même temps, l’ARCOM prend également des centaines de décisions par an visant à refuser d’intervenir auprès de ces mêmes éditeurs, suite à des signalements de téléspectateurs (ces décisions sont listées sur le site de l’ARCOM). Dans les deux cas – intervention ou refus d’intervention – les décisions sont pour certaines susceptibles de recours devant le Conseil d’Etat qui statue en premier et dernier ressort (sans intervention préalable d’une autre juridiction administrative et sans que sa décision puisse être contestée devant une autre juridiction française). L’analyse de la jurisprudence permet de répondre à la question de savoir s’il est utile de contester une intervention de l’ARCOM auprès d’un éditeur. L’étude de la jurisprudence récente laisse apparaître que peu de décisions de l’ARCOM ont été invalidées par le Conseil d’Etat ; néanmoins, une étude plus poussée dans le temps amène à conclure que dans certains cas les recours peuvent aboutir et entrainer soit une modification du droit applicable soit une indemnisation conséquente d’un éditeur en cas de préjudice.
Lorsque l’ARCOM prend la décision d’intervenir auprès d’un éditeur (ou plus rarement auprès d’un distributeur de services), l’institution peut, selon la loi de 1986, adresser une mise en demeure à l’éditeur ou le sanctionner. Au-delà de ces deux possibilités, l’Autorité intervient également par le biais de mises en garde ou de simples interventions, sans que ces catégories d’actes soient organisées par la loi de 1986. Les mises en demeure et autres sanctions peuvent être contestées devant le Conseil d’Etat mais les recours juridictionnels contre les autres types d’intervention de l’ARCOM sont subordonnés, d’après la jurisprudence et pour le dire rapidement, au fait qu’ils produisent des effets de droits sur leur destinataire.
A notre connaissance, le Conseil d’Etat n’a jamais considéré qu’un recours contre une mise en garde de l’ARCOM puisse être recevable depuis l’évolution de la jurisprudence en 2016. On constatera néanmoins qu’une simple prise de position de l’ARCOM a pu être contestée devant le Conseil d’Etat. Les recours juridictionnels contre les décisions de l’ARCOM d’intervenir auprès d’un éditeur sont donc larges et leurs destinataires ne se privent pas de les contester devant le Conseil d’Etat. En dehors des destinataires d’une décision, il est toujours possible pour une personne qui en est impactée de la contester devant les juges. C’est ainsi, par exemple, que l’auteur d’un signalement auprès de l’institution peut contester le refus de l’ARCOM d’intervenir, voire une intervention jugée trop timorée de l’ARCOM. Dans tous les cas, le contrôle du juge portera notamment sur l’adéquation entre les règles de droit concernées et la décision prise par l’ARCOM. Le Conseil d’Etat exige que les décisions prises par l’ARCOM soient justifiées par les faits d’espèce mis en rapport avec le droit applicable. L’ensemble des recours juridictionnels effectués peut être analysé afin de déterminer si ces recours sont susceptibles de prospérer, donc « utiles ». La jurisprudence récente laisse apparaître que peu d’erreurs de l’ARCOM ont été invalidées par le Conseil d’Etat ; néanmoins, une étude plus poussée dans le temps amène à conclure que dans certains cas les recours peuvent aboutir et entrainer soit une modification du droit applicable soit une indemnisation conséquente d’un éditeur en cas de préjudice.
Une jurisprudence récente peu optimiste sur les succès d’un recours effectué par un éditeur de services
L’étude de la jurisprudence récente du Conseil d’Etat ne fournira guère d’espoirs aux personnes désireuses d’effectuer un recours contre le contenu de ses interventions. Au cours des douze derniers mois, rares sont les décisions du Conseil d’Etat ayant remis en cause une décision d’intervention de l’ARCOM. Cette dernière a pourtant rendu depuis plusieurs années quelques décisions retentissantes, notamment concernant les deux chaînes C8 et Cnews. Certaines décisions juridictionnelles concernant ces interventions ont été rendues en 2024 et 2025[1]. Le groupe Canal+,propriétaire de ces chaînes, est particulièrement procédurier et n’hésite pas à contester la plupart des décisions de l’ARCOM le concernant. Mais le Conseil d’Etat n’a que rarement accueilli ses recours. Nous n’avons identifié aucune décision accueillant au fond un recours concernant la chaîne Cnews. Pour ce qui est de C8, Canal+ a depuis un an essuyé trois rejets de recours contre des mises en demeure et trois rejets de recours contre des sanctions. L’éditeur a par contre obtenu la réformation d’une sanction pécuniaire de l’ARCOM par une décision du Conseil d’Etat du 31 décembre 2024 (v. infra). Si l’on étudie la jurisprudence du Conseil d’Etat sur le long terme, C8 a obtenu un succès de plus contre une sanction en 2018 (v. infra). En cumulant les recours exercés par C8 et Cnews aucune mise en demeure de l’ARCOM n’a été remise en cause par le Conseil d’Etat et seule une sanction a été annulée (v. infra) et une autre réformée.
En dehors de Canal+, plusieurs éditeurs de services effectuent chaque année des recours devant le Conseil d’Etat contestant des décisions les visant. Sur la dernière année, LCI a contesté devant le Conseil d’Etat une mise en demeure de l’ARCOM pour deux séquences. La haute juridiction administrative a observé qu’une des deux séquences ayant justifié la mise en demeure avait été mal appréciée par l’ARCOM. Pour autant, le Conseil d’Etat a considéré que la seconde suffisait à elle seule à justifier la mise en demeure. En conséquence, malgré une erreur d’appréciation, la décision de l’ARCOM n’est pas annulée. La séquence problématique présentait une infographie faisant apparaître de manière erronée qu’un couple au chômage avec deux enfants pouvait bénéficier d’un revenu supérieur à celui d’un couple dont les deux conjoints travaillent, grâce à un cumul des allocations de retour à l’emploi et du revenu de solidarité active. L’ARCOM y avait vu un manquement dans la rigueur de l’information. Le Conseil d’Etat a néanmoins considéré que cette infographie a été établie « sur le fondement d’informations fournies par le simulateur mis en ligne sur le site internet des caisses d’allocations familiales, qui comportaient la même erreur, laquelle n’a été corrigée qu’à la suite de la diffusion de cette séquence », que les auteurs du reportage « avaient cherché à faire confirmer ces informations par le service chargé de la communication de Pôle emploi et qu’ils avaient ainsi accompli les diligences de vérification des informations qui pouvaient raisonnablement être attendues de leur part ». Le Conseil d’Etat constate qu’en conséquence, l’ARCOM a commis une erreur d’appréciation en estimant qu’il y avait un manquement dans la rigueur de l’information présentée. La seconde séquence visée par l’ARCOM concernait un reportage d’une chaîne de télévision russe qui « montrait notamment les images d’une manifestation parisienne, présentée comme protestant contre les sanctions internationales imposées à la Russie, en affirmant que cette manifestation n’avait pas eu lieu. Or, il ressort des pièces du dossier que la manifestation en cause s’était bien déroulée à Paris le samedi 3 septembre précédent, et qu’elle avait notamment pour objet de dénoncer le renchérissement du prix de l’énergie que les manifestants rattachaient aux sanctions contre la Russie, ce que la chaîne LCI était en mesure de vérifier. » Dans ces conditions, l’ARCOM avait également conclu, comme pour la première séquence, à un manquement à la rigueur de l’information. Le Conseil d’Etat ne constate pas d’erreur de la part de l’ARCOM pour l’appréciation faite de cette séquence. Au final, si le Conseil d’Etat relève bien une erreur d’appréciation pour la première séquence, la gravité des faits reprochés dans la seconde permet de maintenir la mise en demeure qui ne sera pas annulée par le Conseil de l’Etat. Ce dernier note en effet que l’ARCOM aurait pris la même décision si elle s’était uniquement fondée sur la seconde séquence. Ainsi, la décision des juges du Palais-Royal n’aura pas d’incidence sur la situation de LCI dont la mise en demeure n’est pas annulée. Cette décision laisse bien apparaître toute la rigueur que peut mettre en place le Conseil d’Etat pour vérifier qu’une mise en demeure est justifiée au vu des faits d’espèce.
L’ensemble de ces jurisprudences récentes ne laisse pas apparaître qu’il soit forcément très utile de contester des interventions de l’ARCOM émises auprès d’éditeurs de services[2]. Pour autant, une étude plus poussée de la jurisprudence laisse constater que la saisine du Conseil d’Etat peut s’avérer utile dans certaines situations.
Des succès de recours juridictionnels néanmoins possibles et utiles
Il faut remonter à 2018 pour trouver une décision du Conseil d’Etat annulant purement et simplement une sanction prononcée à l’encontre d’un éditeur de services. Le Conseil d’Etat a ainsi annulé à l’époque une sanction prononcée par le CSA à l’encontre de la chaîne C8 au sujet de l’émission Touche pas à mon poste. La sanction prononcée était une suspension de la diffusion des séquences publicitaires au sein de cette émission et de celles diffusées pendant les quinze minutes qui précèdent et les quinze minutes qui suivent la diffusion de cette émission pendant une durée d’une semaine. La sanction faisait suite à une séquence de caméra cachée qui, selon le CSA, montrait un chroniqueur sous un jour dégradant, humiliant et attentatoire à sa dignité. Le Conseil d’Etat a dans sa décision, considéré qu’en réalité la séquence avait été mal qualifiée par l’ARCOM et que la sanction devait en conséquence être annulée. Suite à cette annulation, le CSA a été déclaré par la suite responsable de cette sanction jugée illégaleet a ainsi dû indemniser C8 à hauteur de 1,1 million d’euros au titre du préjudice qui résulte de l’illégalité de la sanction[3].
On notera que c’est bien le CSA, et aujourd’hui l’ARCOM, qui est responsable sur ses deniers propres et non l’Etat. Le CSA était depuis la loi du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public (v. art. 33), une autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale qui engage sa propre responsabilité pécuniaire en cas de faute. L’ARCOM, tout comme l’étaient le CSA et la HADOPI, est également une autorité publique indépendante. Cette décision démontre tout l’intérêt qu’il peut y avoir pour un éditeur de service à contester une sanction émise par l’ARCOM : en cas d’annulation de la sanction, le gain financier pour l’éditeur peut être important. En l’espèce, C8 a obtenu une indemnisation à hauteur de plus d’un million d’euros. Si une annulation concerne une sanction pécuniaire prononcée directement par l’ARCOM, son annulation permet de récupérer le montant de la sanction honoré par l’éditeur.
Rappelons que le Conseil d’Etat lorsqu’il est saisi d’une sanction de l’ARCOM, intervient en tant que juge de plein contentieux et non en tant que juge de l’excès de pouvoir (ce dernier est compétent pour le contentieux des mises en demeure et autres interventions de l’ARCOM auprès des éditeurs). Si le juge de l’excès de pouvoir ne peut qu’annuler ou refuser d’annuler une décision, le juge de plein contentieux dispose de la possibilité de réformer une sanction émise par l’ARCOM. La décision peut être favorable à l’éditeur en réduisant le montant d’une sanction. On notera que le Conseil d’Etat ne peut pas aggraver la sanction[4]. Ce type de décision, favorable à l’éditeur de service, a été rendu par le Conseil d’Etat le 31 décembre dernier. Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat a réduit une sanction prononcée par l’ARCOM à l’encontre de C8 de 20 000 euros (de 80 000 à 60 000 euros). Dans cette décision, qui concernait ici encore l’émission TPMP, étaient visées plusieurs séquences de publicités clandestines. Pour l’une d’entre elles, était concerné un sweat-shirt que portait un invité arborant le logo d’une plateforme d’échange de crypto-monnaies. Ce logo était visible pendant la fin de l’intervention de l’invité. Le Conseil d’Etat a considéré que ce logo « a été masqué pendant la majeure partie de la séquence et n’est apparu qu’occasionnellement ». Il en a déduit que l’ARCOM avait entaché sa décision d’erreur d’appréciation et a en conséquence réduit la sanction de 80 000 à 60 000 euros. Cette décision présente un triple intérêt :
- elle démontre tout d’abord qu’un éditeur peut avoir un intérêt financier à contester une décision de l’ARCOM ;
- elle illustre ensuite le fait que le Conseil d’Etat peut lui-même modifier le montant d’une sanction (ce qui évite d’autres recours en responsabilité ou une nouvelle décision de l’ARCOM rendant une nouvelle sanction adaptée à la décision du juge) ;
- enfin, cette décision a pour intérêt, au-delà du simple domaine financier, de démontrer que le Conseil d’Etat peut par ses décisions expliciter le droit en vigueur. En effet, dans cette décision, le Conseil d’Etat fait évoluer l’état du droit en matière de publicité clandestine (v. Daily du 7 janvier).
L’arrêt de la haute juridiction administrative précise ainsi que « la seule apparition d’une marque ou d’un produit à l’écran dans un programme audiovisuel, même à plusieurs reprises, ne saurait être regardée comme caractérisant, par elle-même, un manquement à l’interdiction de la publicité clandestine. Il peut, toutefois, en aller différemment lorsque la marque ou le produit qui lui sert de support sont l’objet même d’une séquence de l’émission ou lorsqu’ils bénéficient d’un traitement à l’image insistant, tel qu’un cadrage resserré ou une présentation particulièrement récurrente, et sont ainsi intentionnellement mis en avant d’une manière qui révèle le but publicitaire poursuivi ». Ce considérant a pour mérite de clarifier la notion de publicité clandestine. Selon le rapporteur public du Conseil d’Etat (chargé de donner une proposition de solution au recours), la haute juridiction ne s’était jamais jusqu’ici prononcée sur le caractère publicitaire du port à l’écran d’une marque par un intervenant. Le rapporteur explique ainsi dans ses conclusions (reprises par le Conseil d’Etat dans sa décision) que « le manquement ne sera pas caractérisé lorsque la marque n’est pas aisément reconnaissable ou lorsqu’elle n’apparaît à l’écran que de façon tout à la fois discrète et très ponctuelle. Ou encore, lorsque sa représentation résulte d’une perte de la maîtrise éditoriale. Les termes du décret et de la directive[5] sont sans ambiguïté : la présentation doit être faite de façon intentionnelle, dans le but d’assurer la promotion du produit.»
Les précisions apportées par le Conseil d’Etat à l’occasion de recours juridictionnels contre des décisions de l’ARCOM peuvent ainsi servir à éclairer l’application des normes relatives au droit de l’audiovisuel. Une autre décision récente du Conseil d’Etat illustre parfaitement ce propos.
Dans sa décision très commentée du 13 février 2024, le Conseil d’Etat a, là-encore, eu l’occasion de préciser l’état du droit en vigueur en matière de pluralisme politique à l’antenne. Cette décision a été rendue à la suite d’un recours de l’association Reporters sans frontières et non d’un éditeur de services. Cette association contestait le refus de l’ARCOM d’adresser une mise en demeure de la chaîne Cnews pour non-respect des règles de pluralisme politique. La haute juridiction administrative a ainsi enjoint à l’ARCOM de revoir sa conception du pluralisme politique en matière d’audiovisuel. Jusqu’à présent, l’ARCOM se contentait d’évaluer l’obligation de pluralisme de l’information posée par la loi de 1986 sur la liberté de communication en prenant en compte uniquement les temps de parole des personnalités politiques et non des chroniqueurs de plus en plus présents sur les chaînes. Le Conseil d’Etat a considéré cette position contraire à la loi de 1986 et demandé en conséquence à l’ARCOM de prendre en compte l’ensemble des participants aux émissions pour évaluer l’obligation de pluralisme. Cette nouvelle conception plus conforme, selon le Conseil d’Etat, à la loi de 1986 a donné lieu par la suite non seulement à une mise en garde de la chaîne pour non-respect de ses obligations de pluralisme mais également à une nouvelle délibération de l’ARCOM sur le pluralisme à l’antenne reprenant les éléments précisé par le Conseil d’Etat. Cet exemple démontre tout l’intérêt qu’il peut y avoir à contester une décision de l’ARCOM quand bien même la décision contestée refuse d’intervenir auprès d’un éditeur[6].
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Si les recours effectués devant le Conseil d’Etat contre des interventions de l’ARCOM à l’encontre des éditeurs peuvent, nous l’avons démontré, être couronnés de succès, les réussites restent rares. Afin d’aller au-delà des dizaines de recours rejetés par le Conseil d’Etat, certains requérants comme le groupe Canal+ ont pris l’habitude de saisir la Cour européenne des droits de l’homme. Jusqu’à présent, la CEDH n’a jamais remis en cause une décision de l’ARCOM visant un éditeur[7] (v. Daily du 27 janvier).
[1] Par exemple la décision du Conseil d’Etat rejetant en 2024 le recours dirigé contre la sanction de 3,5 millions d’euros infligée par l’ARCOM à C8 pour les insultes de Cyril Hanouna à l’antenne à l’encontre d’un député.
[2] Au-delà des services audiovisuels, on notera ces dernières années quelques recours de radio exercés généralement sans succès contre des mises en demeure ou des sanctions.
[3] Précision néanmoins que l’annulation d’une décision de l’ARCOM ne donne pas obligatoirement lieu à une indemnisation, comme l’illustre une récente décision du Conseil d’Etat. Encore faut-il constater la présence d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la décision de l’ARCOM et ce préjudice : v. Daily du 15 juillet 2024
[4] V. CC n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, considérant n° 31
[5] Directive SMA de l’Union européenne (v. art. 1er, 1, j) et décret du 27 mars 92 relative à la publicité télévisée (v. art. 9)
[6] Etant étendu que ce type de recours n’abouti que rarement. Pour un exemple v. CE 20 déc. 2024, Société Kanra Publishing France
[7] A titre d’exemple on pourra consulter la décision de la CEDH faisant suite à la sanction pécuniaire de 200 000 euros prononcée par le CSA à l’encontre de Cnews en raison de propos tenus par E. Zemmour sur les mineurs migrants isolés qualifiés à l’antenne de « violeurs, voleurs, assassins ».