La Commission du marché intérieur du Parlement européen s’est réunie le 6 février pour débattre de son projet d’avis sur la mise en œuvre de la directive SMA révisée afin de proposer des recommandations sur l’application du texte. Si les députés européens sont d’accord sur l’absence de recul sur le texte, – il n’est pas possible de faire un bilan ex post comme prévu dans le projet d’avis dans la mesure où 5 pays n’ont toujours pas mis en application la directive – (voir insight : Régulation numérique européenne : les dispositions applicables aux GAFAM), ils estiment toutefois que celle-ci reste perfectible. Les députés ont déposé 66 amendements au projet d’avis qui devraient être discutés lors de la prochaine séance de la Commission en mars.
La transposition de la directive SMA révisée de 2018 par l’ensemble des Etats européens s’est achevée en décembre, avec l’adoption par l’Irlande du Online Safety and Media Regulation Bill… Et le Parlement européen suggère déjà de la modifier, par le biais d’un avis sur l’application de la directive SMA en cours d’adoption par sa Commission du marché intérieur. L’objectif est de l’adapter aux changements du secteur mais aussi d’éviter les chevauchements entre la directive et les nouveaux textes adoptés comme le Digital Services Act (DSA) ou en cours d’adoption comme l’European Media Freedom Act (EMFA). Pour rappel, les avis n’ont aucune valeur contraignante et permettent seulement au Parlement européen d’effectuer une déclaration.
Proposition d’un nouveau mode de calcul des quotas d’œuvres européennes
Parmi les 66 propositions d’amendements déposées par des parlementaires, plusieurs remettent en question la possibilité laissée aux Etats-membres d’aller au-delà du quota imposé par la directive, c’est-à-dire la présence de 30 % d’œuvres européennes dans le catalogue des SMAD. C’est notamment le cas de la France qui impose à ses chaînes ou services nationaux 60 % d’œuvres européennes et 40 % d’œuvres d’expression originale française. Selon certains députés européens, les quotas d’œuvres européennes « qui s’écartent de la directive ou des sous-quotas nationaux, les exigences d’investissement supplémentaires et les obligations complexes en matière de contribution financière engendrent des coûts de mise en conformité importants pour les opérateurs de marché et pourraient compromettent l’intégrité du marché unique ». Cette position est notamment tenue par l’Allemagne qui ne souhaite pas que ses quotas soient alignés avec ceux de la France, jugés trop stricts.
Le projet d’avis propose également de changer le mécanisme de comptabilisation des titres européens en comptabilisant les titres par rapport à la taille totale de l’œuvre (minutage) et non plus par titres pour les films ou saisons de séries, comme retenu par les lignes directrices de la Commission. Le calcul actuel des catalogues est considéré comme inadapté et contournable par les SMAD (voir insight : Vers une révision de la directive SMA révisée ?). S’agissant des productions américaines, il est vrai qu’elles comptent généralement douze épisodes, là où la norme en Europe est plutôt de six ou huit.
La place des SIG, une exception institutionnalisée ?
Un amendement déposé par Geoffroy Didier, député européen français (LR) et rapporteur de la loi sur la liberté des médias, encourage les Etats à consacrer des services de médias audiovisuels d’intérêt général (SIG) et demande que l’article 7 bis, permettant aux Etats membres de contraindre les fabricants d’équipements numériques à les mettre en avant, devienne obligatoire. Pour rappel les Etats ont la possibilité de consacrer les SIG selon des critères qu’ils auraient eux-mêmes défini. L’Allemagne est aujourd’hui le seul pays européen à avoir totalement intégré ce principe et en donne une définition large comprenant le service public audiovisuel mais aussi des services privés, en fonction notamment de la durée qu’ils consacrent à la couverture de l’actualité, à l’accessibilité de leurs programmes, aux personnes en situation de handicap, etc. (voir Insight : Allemagne : première application européenne sur la visibilité garantie aux services d’intérêt général)
Un projet de rapport de la Commission culture du Parlement européen sur la mise en œuvre de la directive SMA va dans le même sens que l’Allemagne et considère que les SIG ne sont pas seulement limités aux chaînes de service public « mais comprennent également des contenus mis à disposition par les fournisseurs de services de médias commerciaux et visant à répondre à des besoins sociaux, démocratiques et culturels ». En donnant une définition étendue des SIG, le Parlement va dans le sens de l’interprétation allemande et pourrait peser, en France, sur les critères – et la liste – qui seront retenus par l’Arcom (voir Insight : Service d’intérêt général : décret paru ; à l’Arcom d’en établir la liste avant application).
La reconnaissance de l’importance du principe du pays d’origine
Le projet d’avis sur la mise en œuvre de la directive SMA confirme le principe du pays d’origine comme un « pilier important de la diffusion libre et sans entrave de l’information et de la distribution transfrontière de services de médias audiovisuels » et reconnait qu’il constitue une base importante « pour la protection des fournisseurs de services de médias audiovisuels et des utilisateurs finals, ainsi que pour la protection des consommateurs, ainsi que pour la promotion de la diversité culturelle et du pluralisme d’opinion dans l’Union ».
Certains amendements estiment au-delà que les possibilités de dérogation au principe du pays d’origine introduites en 2018 (sur la possibilité d’imposer des contributions au financement de la production) ont fragilisé le principe et provoqué une fragmentation du marché unique en « dissuadant les acteurs du marché d’entrer sur des marchés européens plus petits au détriment de tous les acteurs concernés, y compris les fournisseurs européens de services de médias ».
Articulation de la directive SMA avec le DSA et l’EMFA
Les nouvelles législations européennes sous forme de règlement (DSA et EMFA) empiètent sur le champ d’application de la directive SMA et mettent en péril la bonne application du texte. En effet, une directive, ne prime pas sur les règlements en termes de valeur juridique, et devrait en principe être écartée en cas de chevauchement avec un autre texte, ce qui pose la question de la valeur impérative de la directive SMA dans le nouveau paysage législatif européen.
Un amendement au projet d’avis souhaite en ce sens, préserver le champ d’application de la directive et demande que l’ERGA explicite les articulations entre les différents textes, afin d’éviter le chevauchement entre la directive SMA et l’EMFA.a