Intervenants : Rodolphe Belmer, PDG de TF1 ; Iris Bucher, PDG de Quad Drama et Présidente de l’USPA ; Guillaume Charles, Directeur Général des programmes de M6 ; Cécile Rap-Veber, Directrice générale de la SACEM ; Delphine Ernotte, Directrice Générale et Présidente, France Télévisions
Intervenant en vidéo en introduction de cette table-ronde, Rodolphe Belmer rappelle la vocation de LaFA à regrouper largement les acteurs de l’audiovisuel français – dix fondateurs, les entrées acquises d’Arte et du SPECT, et « une file d’attente impressionnante de candidats », afin de défendre les intérêts de la filière.
LaFa est née d’une « prise de conscience » tendant à défendre ensemble l’économie globale du secteur pour la faire prospérer, expose le Pdg de TF1. Au sein de l’association, les dix fondateurs « exerceront en commun le leadership », pour s’attacher à éclairer les décisions du législateur et des régulateurs. LaFA travaillera à Paris mais aussi à Bruxelles auprès des institutions européennes notamment pour concurrencer les grands acteurs américains qui investissent beaucoup en lobbying. La première étape sera la rédaction d’un livre blanc destiné à mesurer l’impact économique du secteur audiovisuel et de protéger la valeur du secteur.
Les prochaines étapes sont d’accueillir des nouveaux membres, d’arriver à parler d’une seule voix et de « faire comprendre aux pouvoirs publics que les sommes investies dans l’audiovisuel ne sont pas des dépenses mais de l’investissement car extrêmement rentables en matière économique mais aussi culturelle et sur le point de la souveraineté ».
La Présidente de France Télévisions Delphine Ernotte insiste sur la puissance française de lobbying qui permet de peser face aux GAFA notamment sur les questions culturelles et la défense de l’exception culturelle. Les modifications de la directive SMA en 2018 ont été en partie obtenues grâce à la France notamment sur le point des SIG indique-t-elle. Pour rebondir sur les propos de M. de Tavernost lors de la table ronde sur la TNT, Delphine Ernotte est « moins angoissée par l’agrégation que par le risque de désagrégation » du secteur, sous l’impact des acteurs globaux et de l’IA. Elle s’inquiète néanmoins du fait que ce qui est financé par certains éditeurs puisse procurer de la valeur pour les agrégateurs. La présidente de France Télévisions explique par ailleurs qu’il faut peser sur la nouvelle modification de la directive SMA prévue pour fin 2026 pour ne pas déconstruire ce qui a été mis en place jusqu’à présent. Pour Delphine Ernotte, ce combat des médias français dépasse largement les considérations corporatistes, mais ramènent à la capacité de créer « du commun » pour rassembler et lier les personnes.
Guillaume Charles (M6) appelle à plus de consolidation dans le secteur. Il précise que le regroupement au sein de LaFa participe de cet objectif de consolidation mais ne portera pas atteinte à la concurrence entre les différents acteurs composant cette structure. Le directeur des programmes du groupe M6 appelle notamment à travailler sur les asymétries réglementaires entre les chaînes et les acteurs internationaux en matière de publicité pour protéger les recettes des acteurs français. Le problème n’est pas tant la réglementation mais le fait que certains acteurs internationaux échappent à la réglementation. Néanmoins, les assouplissements peuvent créer de la valeur comme lorsque les jours interdits de cinéma ont été assouplis. Philippe Bailly constate en effet que cet assouplissement n’a pas entraîné de baisse des entrées en salles comme on pouvait le craindre. Guillaume Charles explique également craindre une invisibilisation de la télévision : le risque est que l’on ne trouve plus M6 ou BFM TV lorsqu’on veut les regarder. C’est l’enjeu d’une bonne application du cadre sur les SIG.
Présidente de Quad Drama et de l’USPA, Iris Bucher appelle à défendre les spécificités du système français comme l’intermittence – sans laquelle « la France ne saurait pas produire » – le financement du CNC et les crédits d’impôt. Sur ce dernier point, Philippe Bailly rappelle que le Danemark vient d’ailleurs de mettre en œuvre un crédit d’impôt audiovisuel comme le font tous les autres pays de l’UE ce qui démontre que chacun a conscience en Europe de la valeur que peut apporter l’audiovisuel à son pays.
D’un point de vue social et économique, Iris Bucher rappelle aussi que l’audiovisuel emploie plus de 300 000 personnes. Le système de financement de la création doit être protégé car il s’inscrit dans une véritable industrie. Et Delphine Ernotte souligne l’impératif de penser les évolutions éventuelles de la réglementation sur le long terme car un projet audiovisuel – qu’il s’agisse de la production d’un programme ou, plus encore, de la construction de studios de tournage – se construit sur le long terme et a donc besoin de visibilité.
Alors que Philippe Bailly indique que les plateformes de SVoD américaines comme Netflix financent beaucoup des productions françaises ainsi que l’a montré le bilan d’application du décret SMAD établi par l’Arcom et le CNC [Alexia Laroche-Joubert remerciera d’ailleurs à son tour ces services pour l’achat de productions françaises dans la table ronde suivante], les intervenants s’interrogent sur la possibilité de soumettre YouTube et les autres plateformes de partage de vidéo (PPV) à des mécanismes de contribution au financement de la création [en réalité c’est déjà le cas, les PPV sont taxées sur leur chiffre d’affaires en matière de publicité pour alimenter le financement du CNC. La contribution reste néanmoins modeste au regard du chiffre d’affaires de ces acteurs et pourrait en conséquence être renfoncée comme nous l’indiquions dans l’article en lien].
A propos de YouTube, Cécile Rap-Veber s’interroge également sur le marché de la publicité digitale, jugeant que les acteurs de l’audiovisuel français devraient être meilleurs en termes de monétisation si YouTube n’était pas en capacité de pratiquer des tarifs prédateurs grâce à l’importance de son inventaire. Et Delphine Ernotte s’amuse d’une déclaration récente de la directrice générale de YouTube qui a précisé être la première chaîne de télévision de France, lui suggérant alors avec malice de respecter toutes les obligations des chaînes de télévision françaises (convention avec l’ARCOM, déontologie des programmes, obligations d’investissement…)
Les débats s’orientent ensuite vers l’intelligence artificielle et son impact sur les métiers de la création. Certains vont perdre leur travail, précise Mme Rap-Veber. Elle insiste sur le fait que l’IA opère un pillage massif sans précédent dans l’histoire des œuvres créées par les humains. Elle appelle à l’adaptation vers une IA vertueuse, c’est-à-dire transparente et qui rémunère les créateurs. La France a selon la directrice de la SACEM un rôle crucial à jouer dans la réglementation bruxelloise de l’IA.Si les créateurs étaient rémunérés lorsque leur création est aspirée par l’IA, cela serait déjà une grande avancée précise-t-elle. Iris Bucher rappelle toutefois que des avancées ont déjà été faites (accords avec la SACD, opt out…).
Pour finir Mme Rap-Veber se félicite de la création de LaFA et de l’accueil de nouveaux acteurs en son sein. Intervenant depuis la salle, Alexia Laroche-Joubert regrette que les producteurs de flux n’aient pas été conviés dès la création de LaFA alors qu’ils pèsent 45 % de la création audiovisuelle. Philippe Bailly rappelle qu’il a déjà été annoncé que le SPECT sera accueilli prochainement au sein de l’association.